Lisieux, mardi 25 juillet 2017
C’est en voyant le Tour de France passer près de chez lui que le petit Kylian est pris du virus du vélo. Mais alors qu’il n’a que quatre ans, c’est la leucémie qui vient contrarier la belle échappée du jeune cycliste de Saint-Pierre-en-Auge (Calvados). Lui ne s’arrêtera jamais de pédaler, contre l’avis de ses médecins, et va toucher au cœur bon nombre d’amateurs et de professionnels partout en France. Entre échec scolaire et penderie remplie de maillots, le jeune garçon de huit ans a déjà beaucoup de choses à raconter.
En 2014, comme chaque année en juillet, la France vit au rythme de la Grande Boucle. Deux jours après la délivrance sur les Champs-Elysées et un doublé français quasi historique sur le podium final, la foule est dense à Lisieux, pour le traditionnel critérium d’après Tour. Personne ne le remarque, mais au milieu des champions de la route, un petit garçon est seul, ou presque. Il n’a pas de vélo, une doudoune peu commune pour un mois de juillet, et tient un drapeau à damiers dans les mains. Le regard perdu, il a une casquette Cochonou visée sur la tête, pour cacher son crâne chauve. Ce garçon, c’est Kylian, cinq ans. Il y a quelques jours il regardait encore le Tour dans sa chambre stérile, où il dormait depuis trois semaines, pour recevoir sa chimiothérapie. « C’est lui qui a négocié avec les médecins, pour avoir un bon de sortie », rembobine Séverine Avenel, sa mère, lors du critérium 2017.
“Le vélo : mon médicament”
Il faut dire qu’à cette époque, Kylian n’est pas au mieux de sa forme. Voilà huit mois qu’il se bat contre la leucémie. Une maladie agressive qui, à un stade IV, a déjà bien évolué. « Les premiers mois, il ne pouvait rien faire », poursuit sa mère. Gonflé par les corticoïdes, fatigué par les cures de chimio, Kylian est loin de l’école et des enfants de son âge. La leucémie lui aura volé deux ans et demi de scolarité. Si bien qu’à huit ans, il sait à peine lire et écrire correctement, et ses parents craignent un nouveau redoublement. « C’est un autre effet secondaire de la maladie », confie Séverine, qui ne quitte jamais des yeux son petit dernier, déjà sur son vélo depuis l’aube, alors qu’il va réaliser un tour de circuit avec les professionnels le soir-même, devant 20 000 personnes. Une part d’insouciance s’est peut-être envolée en même temps que ses cheveux, à l’hôpital.
« Il se faisait beaucoup de copains dans les chambres. Puis un jour, un gamin n’est jamais revenu. Il a fallu qu’il en parle à la psychologue. Ça l’a beaucoup marqué. Mais il nous disait : “Moi, je vais pas mouru”. »
Une fois sorti de sa chambre stérile, il s’empresse d’enfourcher sa bicyclette, au point que ses parents questionnent les médecins. Mais la réponse est ferme : pas de vélo, il risquerait de s’affaiblir. Un coup de massue pour le petit cycliste et pour ses parents, qui se demandent comment ils vont pouvoir canaliser un gamin qui reprend goût aux escapades en plein air. « On a décidé de passer outre », résume la mère. Un rendez-vous chez le médecin de famille, et voilà que le grimpeur en herbe reprend une licence de vélo, avec laquelle il va parader au CHU, pour narguer les médecins. « Le vélo, c’est mon médicament », aime réciter le petit, avec timidité.
Des médecins bluffés
La bicyclette a t-elle vraiment soigné Kylian ? « Physiquement, c’est difficile à dire. En tout cas moralement, c’est clair. Il n’est heureux que sur son vélo. Grâce à ça, il n’est plus malade, au moins dans sa tête », croit savoir Séverine. Une drogue dure que la maman doit parfois interdire : « Il nous arrive de cacher le vélo dans le garage, sinon il en ferait jusqu’à épuisement. » Son deux roues l’a accompagné jusque sur le lit d’hôpital, où, sous hypnose, on lui pratiquait une ponction lombaire. C’est sa maman qui raconte la scène :
« Il était couché en position aérodynamique. La spécialiste lui disait qu’il était en pleine course, dans une côte, et qu’il allait gagner. Ses épaules bougeaient de droite à gauche, c’était étonnant. Il n’a rien senti. »
Début 2016, en rémission, il a gagné sa première course. Une vraie. Maman a fondu en larmes. Kylian, l’enfant à la leucémie, était redevenu un jeune coureur ordinaire. De quoi faire rétropédaler les médecins. « Ils n’étaient pas optimistes pour Kiki. Encore moins pour qu’il fasse du vélo. Mais aujourd’hui, ils nous disent que l’on a eu raison. Que désormais, il connaît mieux ses limites. »
Avec la création d’une page Facebook à son nom, le licencié de Saint-Pierre-sur-Dives a ému bon nombre de cyclistes, partout en France. Le Vélo-club de l’agglomération du Bourget en a même fait son parrain, et Jean Delphis, président du Team Vulco Vaux-en-Velain (DN1), est devenu un ami de la famille. « Kiki reçoit régulièrement des maillots dédicacés de coureurs pros, et d’amateurs. » En tout, il en a plus de 700 aujourd’hui, dont le maillot rose du Giro d’Alberto Contador en personne. « C’est simple, toutes les penderies sont pleines », en rigole Séverine. Porter un maillot professionnel, le petit Kylian en rêve toujours. Même s’il sait que d’après les médecins, il sera toujours considéré comme malade. « Il a eu du mal à l’encaisser, mais il garde le sourire. C’est peut-être à cause de son passé, mais il ne voit le danger nulle part. » Dans la course contre la leucémie, Kylian a déjà pris plusieurs longueurs d’avance.