Largement touchés par les douleurs osseuses, les patients atteints de myélome voient leur mobilité altérée. Une étude inédite menée au CHU de Caen veut démontrer si une activité physique pourrait leur être bénéfique.
En 2018, le Grapas (groupe de recherche en activité physique adaptée et santé) du CHU de Caen se réunit plein d’envie. Comme à chaque fois, plusieurs spécialistes du CHU se réunissent pour tenter de lancer des projets d’étude en lien avec l’activité physique. A ce moment-là, des spécialistes des services d’hématologie, d’algologie (spécialistes de la douleur), d’APA (activité physique adaptée) et de MPR (médecine physique et réadaptation) s’interrogent sur la prise en charge du myélome par l’activité physique. Algologue, le Pr Cyril Guillaume et le Dr Amélie Bernard sont notamment pilotes sur ce projet innovant.
“Le constat que tout le monde fait, c’est que pratiquement chaque patient souffre de douleurs chroniques. Cette population prend déjà beaucoup de médicaments, et nous voulions voir si l’activité physique pouvait limiter leur douleurs osseuses.”
Antoine Desvergée, docteur en médecine physique et réadaptation, et pilier du sport-santé au CHU de Caen.
Le myélome est un cancer du sang qui se manifeste notamment par des douleurs osseuses, qui peuvent être liées aux atteintes du myélome ou à complications osseuses, comme des fractures notamment. Il touche plutôt les personnes âgées et se traite en hématologie par chimiothérapie, entre autres traitements.
Des douleurs difficiles à soulager, qui sont donc les principaux facteurs d’alerte de la maladie. “Il y a une prolifération anormale de cellules de la moelle osseuse, qui peut fragiliser l’os jusqu’à la fracture”, renseigne Quentin Jansseune, interne en rhumatologie, qui a fait de cette étude sur le myélome et l’APA, son sujet de thèse.
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Une étude pionnière
En effet, depuis 2018, de l’eau a coulé sous les ponts du Grapas. Alors que l’étude était sur les rails, le Covid a tout annulé et supprimé une partie des financements (notamment du CHU et de l’AF3M, une association de patients atteints de myélome). “Il a fallu tout reprendre à zéro, et ce projet est devenu un serpent de mer”, lâche Antoine Desvergée. Un serpent de mer pourtant très attendu. Et pour cause, il n’existe quasiment aucune étude scientifique sérieuse qui démontre les bienfaits de l’APA sur les patients atteints de myélome. “En 2018, ça aurait été une première mondiale. Depuis il y a eu quelques données, mais il y a beaucoup de chemin”, détaille encore le docteur.
“On a toutes les raisons de penser que l’APA pourra réduire les douleurs chroniques des patients, c’est-à-dire des douleurs qui se manifestent pendant plus de trois mois, mais il faut pouvoir le prouver
Quentin Jausseune
C’est en effet l’objectif principal de ce protocole de recherche lancé sous le nom de AlgoMyéloMove.
Mais ce n’est pas le seul, selon l’interne en rhumatologie. “La prise médicamenteuse est très importante dans cette pathologie. Il y a les traitements, et des médicaments pour limiter les douleurs. Donc on peut avoir de la iatrogénie médicamenteuse, c’est-à-dire des effets indésirables provoqués par la prise d’un ou plusieurs médicaments. Le but de cette étude est donc de trouver des alternatives pour limiter l’escalade.”
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“Le problème est aussi physiologique, enchaîne Antoine Desvergée. Car on sait que quand il y a une fracture, les os se remettent plus vite quand il y a des contraintes, donc du mouvement. Or, ces publics impactés par la douleur sont souvent kinésiophobes, c’est-à-dire qu’ils ont peur de bouger et se mettent d’eux-même au repos. Cette étude pourrait donc permettre de les inciter à bouger davantage.”
Vers un protocole de soin
AlgoMyéloMove doit inclure en 2023 quinze patients atteints de douleurs chroniques, qui pratiqueront de l’APA à raison de trois séances par semaine pendant douze semaines. Des premiers patients ont déjà été inclus en janvier. Le circuit d’inclusion est toujours le même : les rhumatologues envoient des patients vers les rééducateurs, qui réalisent une prescription, font un bilan des limitations et envoient ensuite le patient vers la Maison Sport santé. “Il n’y a qu’avec ce chemin que l’on fera avancer l’APA: quand les médecins adressent directement les patients pour que le bilan soit fait par des professionnels de l’APA qui ont plus de temps pour cela”, croit le Dr Desvergée.
Une fois dans la salle d’activité physique, c’est Camille Mongodin, coordinatrice de la MSS Chu Caen Normandie, qui prend le relais pour des séances “douces et progressives en intensité” afin de mettre en confiance le malade. Quentin Jausseune espère que cette étude soit positive afin qu’elle puisse se transformer en protocole de soin et donc ouvrir une session complète avec beaucoup plus d’inclusion de patients, et un financement plus durable. “Pour l’instant on doit montrer qu’on ne fait pas de mal au patient. Cela peut paraître étonnant, mais quand on défriche un sujet, on doit passer par là.” Avec cette étude comme avec le sport-santé, le docteur Desvergée a appris à être patient…pour la bonne cause.