Député de Moselle (LREM) siégeant à la commission des Affaires sociales, Belkhir Belhaddad a réalisé une mission “flash” faisant l’état des lieux de la loi Sport sur ordonnance, ainsi que son décret d’application. Ce sportif convaincu a mis en lumière dans un rapport, daté du 2 février 2018, (dont vous trouverez des extraits en format ‘citation’) les différents blocages de ce dispositif, tout en proposant des solutions pour la ministre de la santé, Agnès Buzyn. Formation des médecins, valorisation de la prévention, remboursement de la Sécurité sociale, l’ancien adjoint aux sports de la ville de Metz revient sur les points qui font débat dans le monde du sport-santé.
En quoi consistait cette mission flash que vous a commandé la commission des Affaires sociales? Comment l’avez-vous menée ?
Une mission “flash” est une mission très courte, sur 15 jours. L’objectif était de faire un état des lieux de ce qui se faisait dans certaines villes en matière de Sport-santé sur ordonnance (SSSO). Nous avons auditionnés 18 personnes : des médecins, des associations, des élus, des ministères, des mutuelles, la Haute autorité de santé (HAS)… Nous avons également passé toute une journée à Strasbourg, une des premières à avoir mis en place le SSSO.
Il indique que « les dispositions (du décret) susciteraient de sérieuses difficultés sur le terrain ». Certains médecins auraient même souligné que la prescription était « plus simple avant son édiction ». Qu’est-ce qui pose problème ?
Il n’y avait pas de cadre législatif avant cette loi, elle avait le mérite de poser des bases. Mais il y a un flou dans les profils de personnes qui interviennent auprès des patients. Il manque des formations, on n’a pas de référentiels pour savoir qui fait quoi et comment ils peuvent intervenir, pas de labellisation, pas d’indicateurs pour aller jusqu’à évaluer les pratiques… Les médecins traitants sont la pierre angulaire du dispositif, mais il n’y a pas eu de campagne de sensibilisation auprès d’eux. Le décret est trop standardisé sur le profil des personnes qui prennent en charge ; en réalité, sur le terrain, il peut très bien y avoir une complémentarité entre les kinésithérapeutes et les enseignants en Activité physique adaptée (Apa). Enfin, élément central, il manque aussi le financement – rien n’est précisé sur ce sujet jusqu’à présent.
Y-a-t-il un problème dans le référentiel de prise en charge des patients par des professionnels ? Des blocages entre professions ?
Pour moi, il n’y a pas de “guéguerre”. Les kiné souhaitent essentiellement agir sur le champ du bilan fonctionnel, ce qui me paraît être justifié, peut-être un peu moins sur la prise en charge des séances. Mais il y a une totale complémentarité à trouver et elle se trouvera sur le terrain. Il faut simplement que le décret puisse mieux préciser les choses à ce niveau-là. Il est trop focalisé sur les degrès de sévérité des patients, il faut trouver d’autres référentiels. Mais sur le terrain, un certain nombre de structures existent où les kinés et les Apa fonctionnent bien ensemble.
Nombre des personnes entendues se sont en particulier étonnées de ce que l’on impose des certifications professionnelles et des formations complémentaires à des éducateurs sportifs qui, souvent titulaires de diplômes délivrés par les fédérations sportives, dispensaient déjà des enseignements d’activité physique adaptée et santé (APA-S). Or, dans le même temps, les titulaires de diplômes d’État, qui n’ont pas nécessairement de compétence en la matière au titre de leur cursus, sont exonérés de formations complémentaires pour dispenser des enseignements d’APA-S. Ces exigences pourraient notamment contraindre les éducateurs sportifs de l’association Siel Bleu – qui interviennent aujourd’hui dans près de 40 % des maisons de retraite de France et proposent chaque semaine des activités physiques à quelque 120 000 bénéficiaires – à quitter lesdites maisons de retraite…
Un label pourrait-il voir le jour, dans le but de guider les médecins vers les « bonnes » structures (fédérations, associations, salles de sport) ?
Le rôle des maisons de sport-santé qui vont être mises en place, sera important. Elles vont servir de véritables supports pour développer le sport sur ordonnance. La ministre de la Santé l’avait précisé lors de ses vœux : que ces maisons pourraient notamment servir aux personnes qui sont en Les affections longues durées sont des affections souvent graves et qui nécessitent des soins longs et coûteux. Quand elle est dite exhonérante, l’ALD est prise en charge intégralement par la Sécurité sociale. Il existe aujourd’hui 30 ALD reconnues. Plus de 10 millions de français en bénéficient. ALD et pourraient être prises en charge dans ces structures.
On ne va pas tout réinventer, il faut travailler avec ce qui existe déjà. Sur Metz, j’ai un large projet démarré il y a quelques années sur le développement d’un pôle sportif, sur la base de rénovation de l’existant. Il faudra peut-être créer de nouvelles choses, mais on va voir comment on peut améliorer, y compris le fonctionnement des clubs et les projets des clubs. On avait intégré, identifié, la possibilité dans des structures, de loger le SSSO. Le message que véhicule la ministres des Sports est de partir sur de l’existant.
Cela peut-il éviter une « marchandisation » du sport sur ordonnance ?
Moi je n’ai peur de rien ! C’est un marathonien des sables qui vous parle, je l’ai fait 5 fois. Je ne m’interdis rien, je fais en sorte d’essayer de faire bouger les choses. Oui, on pourrait créer un ou plusieurs labels, que ce soit sur les formations, les structures, les clubs sportifs. Il faut qu’on ait un système de validation, comme quand on crée un nouveau métier. Il faut structurer le dispositif, à la fois sur les personnes qui interviennent et les structures.
Cela permet aussi de valoriser le travail des uns et des autres et rassurer tout le monde. On recherche la qualité de prise en charge des patients avant tout. Il nous faut clarifier les compétences des uns et des autres, de ce qu’on prescrit, pour quelle pathologie… Au niveau des structures, faire en sorte qu’elles soient complètement adaptées, y compris sur le matériel… C’est un ensemble de choses à définir.
La formation des médecins est-elle indispensable au bon fonctionnement du dispositif ? Comment l’améliorer ?
Ils sont à la base du projet. Je préconisais de mener une campagne nationale auprès d’eux. On a des choses qui commencent à sortir, comme des fiches Vidal est une plateforme pour les médecins traitants. Elle synthétise des fiches de médicaments, de différentes pathologies, et aide les professionnels dans leur prise de décision. Ce fonds de connaissance est actualisé régulièrement. Vidal pour prescrire telle activité physique pour telle pathologie. Il y a une réflexion à avoir sur la formation.
Créé en 2009 par la Cami à Paris XIII (Saint-Denis), ce DU est dédié à l’enseignement de l’activité physique dans le traitement du cancer. Il sert de complément de formation aux étudiants, notamment de la fillière Staps, qui veulent prendre en charge ce type de pathologie. Diplôme universitaire avec la Cami qui a été créé mais il est spécifique à une pathologie. On pourrait très bien imaginer un DU sport sur ordonnance qui traiterait d’autres pathologies et en faire un diplôme national…
Le SSSO, il faut l’intégrer dans les formations initiales du médecin traitant, mais également dans sa formation continue. Car actuellement, à la fac de médecine, il n’y a rien sur le sport-santé. La HAS est en train de travailler sur des référentiels, elle doit rendre ses conclusions d’ici à la fin du trimestre. Un rapport que l’on attend impatiemment, car il va pouvoir nous éclairer.
Certaines personnes ont la possibilité de désigner un médecin hospitalier comme médecin référent, qui fait office de médecin traitant mais pas au regard du décret du 30 décembre 2016. La possibilité de prescription devrait a minima être élargie à ces médecins hospitaliers référents pour certaines pathologies lourdes, notamment les cancers.
Vous préconisez « l’intégration du dispositif dans la Rémunération sur les objectifs de santé publique (Rosp) ». Cela peut-il inciter les médecins à mieux parler de l’activité physique à leurs patients ? Dans un pays où les médecins libéraux restent payés en majorité à l’acte, pensez-vous qu’il faille rémunérer la prévention ?
Oui je pense que cela permet de valoriser leur activité sur le plan financier, en termes d’objectifs vis-à-vis du ministère. Je n’ai pas du tout privilégié la possibilité de faire ça sous forme d’un nouvel acte, ce serait ouvrir la boîte de Pandore à tout et n’importe quoi. Mais valoriser le temps dédié à la prévention à travers les Rosp, il fallait le faire depuis longtemps. Créer un acte, le codifier, c’est relativement lourd, conséquent et nous n’avons aucune maîtrise du processus derrière.
Vous préconisez « la construction d’un modèle économique efficient, piloté par les Agences régionales de santé (ARS) et reposant sur la solidarité nationale, avec une prise en charge par la Sécurité sociale ». Concrètement, comment souhaitez-vous appliquer la « solidarité nationale » ?
Là où la solidarité doit intervenir, c’est notamment sur la prise en charge des séances, pas au niveau des consultations. Ce qui représente entre 150 € et 300 € par personne et par an. Des séances qui peuvent aller de quelques heures à une centaine d’heures au maximum, sur 3 mois voire un peu plus, uniquement sur la période aiguë. Disons sur la phase de démarrage.
S’il y a des séances supplémentaires avec une certaine autonomie, une amélioration sensible de la maladie, rien n’empêche au patient de poursuivre dans une structure de type club sportif pour pérenniser son activité. Là, on serait non pas sur de la solidarité nationale, mais sur un soutien à la licence du ministère des Sports ou des collectivités territoriales. Les fédérations sportives pourraient également créer une licence particulière, type licence loisir, mais qui serait largement plus abordable que les licences de compétition. Quand je parle de solidarité nationale, ce n’est pas un nouvel impôt, mais une prise en charge par les Caisses primaires d’assurance maladie (Aujourd’hui, seule la CPAM des Bouches-du-Rhône a mis en place un remboursement partiel de séances d’activité physique pour des femmes atteintes de cancer du sein. CPAM) de “x” séances pour aller au maximum à 350 – 400 €.
Pourquoi est-ce important pour vous que le sport sur ordonnance soit financé, en tout cas « pour une période limitée » et de façon symbolique ?
La Sécurité sociale a vocation a intervenir sur le plan de la solidarité nationale, on est sur la partie des soins, là où on va constater de vraies améliorations. C’est souvent le cas avec le sport sur ordonnance. Quand on aura une amélioration sensible, on ne pourra plus considérer forcément cette activité physique comme un traitement non médicamenteux, mais plutôt comme une pratique sportive. La solidarité nationale n’a pas vocation à développer cette pratique sportive. Davantage le ministère des Sports.
Quelle que soit sa forme, y compris celle d’une dispense d’avance de frais aux patients, la prise en charge, même symbolique, du coût des séances d’Apa par l’Assurance maladie, permettrait d’entraîner les différents acteurs dans un cercle vertueux et d’amorcer la généralisation de la prise en charge complémentaire par les assurances et les mutuelles. Celles-ci sont souvent réticentes à proposer un remboursement, même partiel, en l’absence d’un “socle” assumé par la solidarité nationale.
Faut-il forcément que le dispositif soit financé pour que les villes le développent ? De nombreuses municipalités le font avec leurs propres fonds… et plusieurs prennent d’ailleurs en compte l’obésité et l’hypertension artérielle dans la liste des maladies concernées, au-delà des 30 ALD.
Les personnes en ALD sont souvent en situation précaire. On a des inégalités de territoires criantes. Le SSSO existe là où il y a une volonté politique, une volonté de financer le dispositif, et là où les villes ont les moyens. Sur d’autres territoires, ce n’est pas forcément le cas. C’est là qu’on a un rôle en tant qu’élu national. Au départ, on a déjà une inégalité territoriale et de traitement. Quand on regarde les chiffres, les personnes en situation précaire sont les plus vulnérables en matière de santé. Il faut donc lutter contre ces inégalités entre territoires, et avoir une cohérence nationale.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a établi une liste d’une centaine de maladies chroniques qui devraient, à ses yeux, bénéficier de l’éducation sportive à des fins thérapeutiques.
Mercredi 31 janvier, le Bureau de l’économie du sport a publié un rapport montrant qu’en matière de santé, investir dans le sport est vecteur d’économies. En avez-vous pris connaissance ? Montre-t-il une avancée du gouvernement sur la question ?
Aujourd’hui, le coût du traitement des ALD est de l’ordre, pour l’Assurance maladie, de 80-90 milliards d’euros par an. Ce qui représente 60 % des dépenses de l’Assurance maladie. Vous vous rendez compte ? Juste pour ça ! L’Association nationale des élus en charge du sport (Andes) m’avait donné un chiffre de 10 milliards de retour sur investissement, si le sport sur ordonnance existait partout. Au lieu de donner des médicaments, on prescrit de l’activité physique. Disons que l’idée est de diminuer la consommation de médicaments. Ce n’est pas le sport qui va tout régler. Mais améliorer le bien-être et lutter contre les rechutes, ça oui.
Avez-vous déjà eu un contact avec la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, à qui votre rapport est destiné ? Connaissez-vous sa position ?
C’est ce qu’on est en train de faire, la sensibiliser sur le sujet. On a prévu de la rencontrer prochainement, avec les membres de la commission, pour évoquer ce sujet. Nous allons avancer, c’est sûr. Le rendu de cette mission est une première étape. Nous n’avons pas d’objectifs particuliers en termes de dates. On va d’abord la rencontrer, voir par rapport aux propositions ce qu’elle en pense et de quelle manière on peut avancer.