Marseille, mercredi 13 décembre 2017
– Bonjour madame. Cela fait des semaines que nous essayons de joindre le docteur X pour une interview. Nous sommes à Marseille pour deux jours et espérons le voir demain. Pensez-vous que ce sera possible ?
– Vous n’avez pas eu de réponse ? Elle a des rendez-vous jusqu’en août 2018, ça va être compliqué…
Début décembre, nous prenions la route du sud pour une série de reportages entre le Cantal et la Côte d’Azur. Nous devions avoir rendez-vous avec plusieurs spécialistes renommés des hôpitaux de Marseille pour étayer nos articles. Enfin, c’était dans l’idéal. Parce que dans la réalité, en arrivant dans la cité phocéenne, nous n’avions réussi à caler qu’une seule rencontre.
Ce n’est pas faute d’avoir fait chauffer le téléphone depuis près d’un mois. Des appels vers les secrétariats, vers des collègues des docteurs en question. Des moments où l’on se persuade que l’on va nous rappeler quand tout ce petit monde affirme avoir “bien transmis le message”. Puis les jours passent, les heures tombent en silence, et rien ne bouge. Si bien que dans la voiture, en arrivant au pied de la Bonne Mère, après 2 jours de reportage à Murat, Léa et Vincent se regardent dans les yeux : “Est-ce qu’on ne viendrait de rouler 800 km pour rien ?”
Bien sûr, nous ne sommes pas Le Monde, Vincent n’a pas le physique de Laurent Delahousse, nous savions que les portes n’allaient pas s’ouvrir si facilement, mais quand même. Pourquoi personne ne daigne vouloir répondre à nos questions ? Pourquoi notre envie de parler de la multitude des programmes d’activité physique adaptée existante dans les Bouches-du-Rhône intéresse si peu leurs protagonistes, alors qu’ils auraient tout à y gagner ? Oui, c’est vrai, à un moment donné, nous nous sommes dits qu’à l’hôpital, dans les CHU, la communication, ce n’est vraiment pas leur fort. Nous nous sommes laissés dire que les spécialistes n’en avaient rien à faire de répondre à la presse.
Tant pis pour la pause déj
Alors, on l’a joué aux biscotos : harcèlement téléphonique et visite surprise dans les hôpitaux. Du genre “Vous vous souvenez de nous ? Eh bien nous voilà !” Des méthodes qu’on n’aime pas forcément employer, mais qui ont eu le mérite de faire bouger les choses. Notre agenda s’est finalement rempli très rapidement… jusqu’à rendre notre timing ultra serré : 3 tournages prévus, dans 3 établissements de la ville… en moins de 2 heures. Sportif.
Et c’est là qu’on a compris. Quand on a rencontré les dits spécialistes. Non, ils n’ont rien contre nous. Au contraire, notre projet a plutôt tendance à les intéresser. Parler de leurs activités ? Avec plaisir. Leur problème, c’est que leurs journées ne durent que 24 heures. “J’aurais déjà dû commencer les chimios. Installez-vous”, nous intime Yves Rinaldi, oncologue à l’hôpital européen, à l’origine du programme Kapa (sport adapté pour les malades du cancer). Il nous reçoit entre 13h et 13h15, tant pis pour la pause déjeuner. Jeûner, il a l’habitude. “Hier, j’ai commencé à 7h45 pour finir à 22h. Je n’ai pas mangé en rentrant. Et ce matin, je n’ai pas bien eu le temps non plus.” Il a la mine de celui qui aurait bien besoin de repos. Nous sommes presque gênés de le mettre devant la caméra pour lui demander de nous parler de ces travaux, tant ses minutes semblent précieuses “On fait des journées de dingue” lâche t-il, sans aucune révolte dans la voix.
“On se bat chaque année”
La veille, le docteur Ranque-Garnier, à la Timone, un des plus grands hôpitaux de la ville, nous téléphone vers 20 heures. “Un petit souci perso m’a fait quitter l’hôpital plus tôt. Je profite du supermarché pour vous appeler.” On a du bol : un patient vient d’annuler un rendez-vous, elle peut nous recevoir une heure demain. Largement de quoi nous décrire le même quotidien où elle est “sans cesse sous le robinet”.
Un travail intense qu’elle couple avec le poste de présidente de la Cami 13. “On se bat chaque année pour avoir des aides. Cette année, l’ARS (Agence régionale de santé) ne nous a rien donné ,” regrette-t-elle. Il faut se débattre, “mendier”, jouer avec les tensions entre hôpitaux, pour organiser des créneaux d’activité physique… quand les moyens le peuvent. Cela fait des années qu’elle fait cela, sans que personne, ou presque, ne lui viennent en aide. “Les choses bougent petit à petit”, glisse-t-elle, consciente que ce sont les associations qui font avancer la machine à coup de volonté, et non pas l’Ếtat à grand renfort de subventions.
L’urgence est à l’hôpital. Le personnel le vit au quotidien et subit une pression difficile à imaginer. Ce fut pour nous une découverte, dans un monde où personne ne se plaint, car le malade passe avant tout. Il faudra pourtant un jour se préoccuper du quotidien de ces têtes bien faites, qui sacrifient leur vie de famille et leur santé pour tenter de réparer et de guérir. Les docteurs ont aussi besoin que l’on s’occupe d’eux.