Mortagne-au-Perche, le 30 mars 2021.
Selon les décrets parus depuis fin octobre 2020, les malades chroniques ou personnes handicapées ont le droit de nager sur prescription médicale. Dans les faits, c’est une autre histoire. Entre patients pas au courant et établissements totalement fermés, les campagnes (déjà sous dotées en programmes d’APA), sont rares à avoir ouverts des créneaux spécifiques. Reportage dans l’Orne, où aucun créneau n’a encore ouvert.
Le 28 octobre 2020, la ministre déléguée aux Sports Roxana Maracineanu, déclarait à l’Assemblée : « J’en appelle aux élus des collectivités, aux maires, pour qu’ils permettent l’accès à ces équipements pour les publics prioritaires. » À l’époque, c’est une très bonne nouvelle pour les malades chroniques ou personnes handicapées ayant déjà subi l’arrêt de leurs programmes d’activité physique thérapeutique, depuis mars.
Soin de support indispensable
Seulement, la ministre est assez peu entendue, notamment dans l’Orne. Les collectivités annoncent souvent la fermeture des gymnases et piscines jusqu’à nouvel ordre, et les malades en affection longue durée (ALD) ayant des prescriptions médicales, sont rares à connaître la réglementation en vigueur à l’époque.
Le tableau de déclinaison des décisions sanitaires pour le sport a été mis à jour➡️https://t.co/BTFRi9g2b0 pic.twitter.com/OuZdRtizqi
— Ministère des Sports 🗼🇫🇷 (@Sports_gouv) March 29, 2021
« On n’a reçu tout simplement aucune demande », argumente Vincent Heurtault, responsable des piscines de Ceton et de Bellême (Orne) pour la CDC des Collines du Perche Normand.
« Nos professionnels faisant des cours de gym prénatale ou de l’ostéo, ont décidé eux-mêmes de tout arrêter ». À Mortagne (Orne), la piscine reste ouverte sur quelques créneaux pour l’Ehpad, deux heures par semaine, avant que les mesures de fermeture ne se durcissent pour les scolaires en janvier, et ferment définitivement les établissements de type X, c’est-à-dire couverts. Les malades ont toujours le droit de pratiquer, comme ceux du programme APAMAL, dans un gymnase de Mortagne, laissé ouvert par Virigine Valtier et la mairie de Mortagne.
“Nous avons dû réduire à une séance par semaine, au lieu de deux. Ce qui m’oblige à revoir le contenu de mes séances“, affirme Antoine Mercier, enseignant APA pour le Comité Département Olympique et Sportif, qui vient d’être labellisé Maison Sport-Santé, avec le soutient du Conseil Départemental de l’Orne.
Pendant ce temps-là, les médecins continuent de prescrire de l’activité physique sur ordonnance, comme ils en ont le droit depuis 2016. Atteint de la mucoviscidose à Belforêt-en-Perche, Jennifer, 27 ans se voit prescrire des séances de piscine.
« La seule ouverte, c’était au Mans, alors je n’y vais pas. C’est dommage car j’aime beaucoup ça. Avant j’étais à 105% de CPT (Capacité pulmonaire totale), maintenant c’est 75% », regrette-t-elle. À Saint-Langis, Nathalie, maman d’une petite fille handicapée, avait l’habitude d’aller nager à Mortagne pour cette dernière, afin de soulager son dos. « La kiné lui en prescrivait, mais même à Alençon, tout est fermé. »
« Ce ne sont pas des privilèges »
Professionnel titulaire du diplôme universitaire de la Cami, Samuel Gouin prend en charge des malades chroniques avec de l’activité physique dans le Perche. Pour lui, ces créneaux autorisés en temps de Covid « ne sont pas des privilèges », mais bien « une juste compensation ». Il s’explique : « Dans ces lieux, l’activité physique est pratiquée à visée thérapeutique pour un public déjà fortement impacté par leur maladie chronique (retard de diagnostic et de prise en charge, complications, moins bon pronostic…etc.). Quand les conditions sanitaires le permettent, c’est probable que cette pratique physique régulière apporte plus de bienfaits. Je commence à voir la lente bascule vers plus de sédentarité, chez les personnes qui profitaient de créneaux à la piscine par le passé. »
L’ARS nous le confirme par téléphone : si des créneaux existent bien dans le Calvados par exemple, aucune piscine de l’Orne n’a à ce jour ouvert un créneau dédié aux publics prioritaires.
Encore un effet indésirable de la Covid et une véritable perte de chance pour les patients. Plusieurs établissements ont préféré fermer totalement, plutôt que d’ouvrir pour quelques bénéficiaires. “Les piscines privées, je peux le comprendre, car ce n’est pas rentable de chauffer un bassin pour quelques heures par semaine. Mais les publiques, ce devrait être leur rôle”, admet un directeur d’établissement.
La Ferté-Bernard en bon exemple
Les choses ont failli basculer. À Mortagne, Xavier Goutte, vice-président en charge des Sports à la CDC, l’assurait le 25 mars : « J’ai pris la décision que l’on ouvre pour ces publics prioritaires. » Une réunion plus tard, et le 26 mars, les élus préféraient finalement ne pas trop se mouiller avec ces créneaux pour les malades.
« On prendra au cas par cas, mais rien n’est prévu dans l’immédiat », soutient alors l’élu, qui assure que l’Agence Régionale de Santé « déconseille d’ouvrir ces créneaux », après avoir fait le constat que certains pratiquants venaient avec des certificats de complaisance.
Une information que l’ARS ne nous a pas confirmée, au contraire. « On s’en tient à l’application des décrets sur le sport. D’ailleurs on incite ces publics à ne pas stopper une activité physique qui est très importante pour leur santé et leur bien-être. L’ouverture de ces créneaux n’est pas soumise à notre validation », nous indique l’ARS Normandie.
Du côté de Ceton, Vincent Heurtault a voulu suivre le bon exemple de La Ferté-Bernard (Sarthe), pour ouvrir aux malades sur prescriptions, après avoir reçu, enfin, quelques demandes par téléphone.
Mais encore une fois, les nombreux cas de Covid dans les écoles et dans le secteur de Ceton ont eu raison de la bonne volonté. La CDC a annulé ses cours avec les scolaires. Les créneaux pour les ALD boivent donc la tasse, malheureusement. L’option de maintenir une piscine ouverte dans l’Orne, en consultation avec l’ensemble des CDC, n’a pas été discutée avec les élus.
À moins de faire 200 kilomètres pour aller au Mans, la seule possibilité pour ces publics prioritaires est d’aller à La Ferté-Bernard, dans la Sarthe. Étrangement là-bas, les créneaux dédiés aux malades continuent de s’ouvrir face à la forte affluence. « Ces publics sont très très demandeurs, ils le font pour leur santé, c’est très important pour eux », affirme Philippe Massiquet, le directeur de la piscine publique.
Attention, il ne s’agit pas d’avoir un simple certificat de son médecin pour s’inscrire, mais bien d’avoir une Affection de Longue Durée (ALD) et une prescription d’activité physique de son médecin. Le responsable conseille d’appeler en amont pour réserver un créneau dans le bassin. « On peut encore trouver de la place, ou ouvrir un nouveau créneau. J’ai la chance d’avoir un élu qui connait bien le sujet et qui n’a pas hésité une seconde pour ouvrir un quatrième créneau», assure-t-il.
Cet article a été publié sur le site Actu.fr via le journal Le Perche, où travaille Vincent.