La loi et le décret du sport sur ordonnance permettent à tous les médecins de France de prescrire du sport à leurs patients. Avec près de 40 millions de Français sédentaires et 10 millions de personnes en Affection longue durée (ALD), c’est donc un véritable marché économique qui s’ouvre pour le secteur associatif. En proposant des créneaux de sport santé, de nombreuses fédérations veulent casser leur image de “compétition” pour se tourner vers le loisir. De nouvelles pratiques qui imposent aussi des contraintes pour des clubs aux moyens souvent limités.
Il y en a qui n’ont pas vraiment hâte de passer à l’année prochaine. Dans le secteur associatif, 2018 s’annonce déjà comme une année difficile, depuis que le premier ministre Édouard Philippe a annoncé le financement de seulement 200 000 contrats aidés. En 2016, ils étaient 460 000, et 320 000 en 2017. C’est donc un nouveau recul pour un secteur qui commence à s’habituer à faire “toujours plus avec encore moins”. Pourtant, l’émergence nouvelle du sport santé dans les clubs et fédérations sportives est une aubaine pour redonner un coup de fouet au secteur. Pour Martine Prévost, vice-présidente de la Fédération française d’athlétisme (FFA) en charge du sport santé, “la mayonnaise commence à prendre“. La FFA fut en effet l’une des premières fédérations sportives à s’engager sur cette nouvelle voie, loin, très loin des notions de performance que représentent ses champions, têtes de gondole de l’athlétisme et modèles pour les jeunes. “Notre politique de sport santé a débuté en 2006. Nous commencions à nous rendre compte que le nombre de compétiteurs stagnait et qu’il y avait une réelle volonté du public de faire du sport en loisir, et pour son bien être.” Effectivement, un véritable marché économique s’ouvrait alors, et la fédération a vu son nombre de licenciés passer de 170 000 à 250 000 en à peine 10 ans, “notamment grâce à la marche nordique, très adaptée au sport santé”, souligne Martine Prévost.
Il ne fallait pas beaucoup plus d’arguments pour qu’une multitude d’associations s’y mettent. En plus des fédérations de tennis et de natation, la Fédération française de basket a lancé il y a moins de cinq ans le basket santé. “J’ai découvert ça en assistant à un cours près de Nantes, se souvient Guy Billoir, membre du comité directeur de la section amateur de l’Hermine Basket, un club de Pro B à Nantes. Ça jouait à 3 contre 3, il n’y avait pas de contacts, pas de sauts. J’étais très étonné de voir comment des personnes qui n’ont jamais pratiqué de sport, prennent autant de plaisir. C’était incroyable. Ils mettent un temps fou à mettre un panier, mais on s’en moque.” Motivés par la fédération, des dizaines de clubs ont ouvert des sections de basket santé en Loire-Atlantique. Guy Billoir attend d’ailleurs d’obtenir une labellisation de sa fédération pour mettre en place des créneaux. Et il promet que “vu la demande, on risque de ne pas avoir assez de cours”.
On aimerait motiver les anciens, ceux de notre quartier Saint-Anne, qui pensent avoir passé l’âge de faire de l’activité, alors qu’ils en sont tout à fait capables. Moi par exemple, j’ai 70 ans, j’ai envie de passer à autre chose que la compétition.
Du karaté contre la maladie
Plus à l’est, du côté de Strasbourg, c’est tout un secteur associatif qui s’est reconstruit autour du sport santé sur ordonnance (SSSO), lancé par la municipalité en 2012. Sur prescription médicale, les médecins orientent les patients atteints de certaines pathologies vers une équipe municipale qui proposera à ces derniers de s’inscrire dans un club. Au total, plus d’une vingtaine d’associations font partie du projet. Le sport ne fait plus seulement partie de la prévention primaire, mais il est aussi organisé pour les malades.
Depuis 2 ans, Patrice Schoepff s’est “lancé dans l’aventure”. Ancien karatéka de bon niveau, il a souhaité délaisser la compétition pour “revenir à la mission première du karaté : le travail sur soi. Tout est dans le geste, la technique” assure-t-il. Il devient alors président du karaté club de la Roberstau et souhaite développer des activités de loisir, mais les choses n’avancent pas si vite qu’il le souhaite. “Je voulais élargir les publics mais c’était difficile. Alors nous avons postulé pour faire partie du sport sur ordonnance”, se souvient le président. Il a suffi d’une réponse à un appel d’offre, quelques entretiens, pour que son club intègre le réseau de la municipalité. Dossier tamponné. Une formation spécialisée plus tard, pour apprendre à encadrer les patients atteints de pathologies lourdes, il accueille en 2016 près de 15 nouveaux licenciés. Des jeunes obèses, des personnes avec des pathologies cardiaques, toutes sont unies dans le karaté avec l’objectif de “combattre physiquement la maladie”. Pour le club de la Roberstau, cette année 2016 sonne comme un nouveau départ. “Bien sûr, certains sont partis en cours de route. Parfois les maladies étaient trop lourdes, mais nous avons fidélisé plusieurs licenciés qui vont rester même après les 3 ans de prise en charge du SSSO”.
C’est le cas de Catherine Perroux. À 48 ans, c’est son médecin qui lui a conseillé le sport pour régler ses problèmes de poids et d’hypertension. Elle débarque alors dans un cours de karaté, pour la première fois de sa vie.
Au début, je me suis dit : “Non, ce n’est pas pour moi. Je ne suis pas prête”. Puis au bout de deux séances, les doutes sont vite tombés.
En moins de 6 mois, les effets du karaté se font sentir sur sa santé : elle réduit sa consommation de cigarettes et arrive à stabiliser son hypertension. “Et avec les endorphines, c’est devenu un besoin”, sourit Catherine, qui avait hâte de reprendre les cours en septembre 2017.
Des doutes sur les formations
Le succès des nouveaux créneaux dits de “sport santé” est tel que certains s’inquiètent d’éventuelles dérives. En effet, si, dans la grande majorité des cas, des éducateurs sportifs en Apa (Activité physique adaptée) sont exigés pour encadrer les patients malades, certaines associations peuvent “maquiller” des cours de bien-être, sans pour autant avoir des éducateurs formés à ces publics. C’est en tout cas ce que croit Benjamin Cantele, président de la Société française des professionnels Apa. “Quand on voir la fédé de basket, c’est génial, ils investissent en recrutant des éducateurs formés qui viennent de Staps ou de filières compétentes. En revanche, la fédé d’athlétisme dit : « On accueille des publics plus fragiles, mais on garde nos éducateurs », ils ont des formations en interne, mais c’est léger. Tout cela est légal, mais il faut être prudent.” À la FFA, Martine Prévost, médecin du sport, se défend : “Pour le sport sur ordonnance et les pathologies lourdes, nos coachs viennent le plus souvent des filières Staps ou d’autres formations équivalentes. En ce qui concerne nos coachs athlé santé, qui proposent du sport adapté dans les clubs, ils ont tous eu une formation de 20 jours organisée par la fédération.” Elle reconnait toutefois qu’il est difficile “d’embaucher partout en France des éducateurs formés, car pour des clubs avec peu de moyens, organiser des créneaux importants, cela relève de la compétence d’une entreprise”. Aujourd’hui, 120 coachs athlé santé ont été formés dans les clubs.
Trouver un modèle économique, voilà la problématique pour ces associations qui veulent répondre aux attentes de ces publics parfois fragilisés, mais demandeurs de sport. À l’Hermine Basket de Nantes, Guy Billoir l’assure, “si les cours fonctionnent, nous allons embaucher notre petit jeune en CDI. Jusque-là, il travaillait en service civique. Il a les diplômes et il connaît bien le sujet.” Alors que des discussions sont toujours en cours pour trouver un financement à la loi sur le sport sur ordonnance, Martine Prévost espère “que l’État puisse aussi aider les clubs à financer les formations. Les choses ont déjà beaucoup bougé, il faut poursuivre le mouvement”.