Préambule : dans le cadre d’un article co-réalisé avec Raphaël Tual sur Enquêtes d’actu, nous avons interrogé le pionnier du sport sur ordonnance Alexandre Feltz, ainsi qu’un enseignant Apa de la Manche ayant réalisé une expérimentation avec la CPAM, Mathieu Legraverend, concernant la (grosse) question du financement. Voici leurs réponses en deux temps.
Lire ici l'interview de Mathieu Legraverend.
Caen, mercredi 13 octobre 2021
Alexandre Feltz, adjoint à la santé à Strasbourg, est le précurseur du dispositif de sport sur ordonnance en France. Il mène le Réseau des villes sport-santé, groupe de travail au sein du Réseau des villes santé de l’OMS, qui a pour objectif d’échanger autour des pratiques appliquées, d’accompagner les collectivités intéressées… Fort de cette expérience, il nous apporte son point de vue concernant le financement du sport-santé.
Au démarrage du dispositif de sport sur ordonnance à Strasbourg, vous proposiez aux patients une première année gratuite, les deux suivantes avec une tarification solidaire. Est-ce une exception ?
Effectivement, cette tarification solidaire s’élève à 20 € l’année pour les personnes touchant les minima sociaux ; 50 € pour celles autour du Smic (en fonction du quotient familial) ; 100 € pour au-delà. Mais nous apporterons peut-être des modifications au mois de janvier.
Ailleurs, la quasi-totalité propose la gratuité ou la tarification solidaire ; il y a quelques rares forfaits avec une participation des patients, mais avec un reste à charge faible. La réalité, c’est l’implication des collectivités.
Strasbourg est néanmoins gratuit car financé par le régime local d’Assurance maladie, l’ARS, les collectivités européennes d’Alsace…
[ POUR ALLER PLUS LOIN ] Sport sur ordonnance : Strasbourg roule en tête (29 septembre 2017)
Ce sont justement les collectivités qui permettent la mise en place et le fonctionnement des dispositifs de sport sur ordonnance. Est-ce que cela ne pose pas un problème ?
Le gros problème, c’est l’iniquité territoriale : selon où l’on vit, on ne dispose pas du même système. C’est d’ailleurs très bizarre, pour la politique nationale qu’est le sport sur ordonnance, de ne pas avoir de financement national.
Par exemple, avec Prescri’mouv dans la région Grand Est, tous les patients en ALD ont droit à un bilan médico-sportif et à des séances d’APA ; c’est un engagement de l’ARS. Mais l’ARS des Hauts-de-France ne donne rien, alors qu’ils ont des épidémies de cancer, d’obésité…
On le signale depuis longtemps : au minimum, il serait indispensable que les ARS, les services déconcentrés de l’État, s’engagent partout à co-financer le sport-santé. Il y a aussi quelques CPAM – très peu – qui prennent en charge quelques séances ; et ce n’est pas encore le cas à Strasbourg.
Appelez-vous à ce que le sport-santé soit remboursé ?
Le remboursement serait trop compliqué. Mais tous les acteurs du sport-santé en France demandent que toutes les ARS et les CPAM participent au financement pour les réseaux municipaux et les associations sur les territoires.
Dans le cadre du PLFSS (Projet de loi de financement de la Sécurité sociale), il y a à chaque fois un peu d’argent pour le sport-santé : pour les bilans médico-sportifs dans le cancer stabilisé, c’est acté depuis 2019 ; en 2020, les bilans pour les diabétiques. En 2021, des parlementaires, dont certains de la majorité, souhaiteraient cela pour la santé mentale.
Mais ce dont on a besoin, ce sont des financements nationaux, pérennes et équitables sur l’ensemble du territoire.
On l’a senti lors des 4e Assises du sport sur ordonnance (organisées tous les deux ans à Strasbourg, NDLR) : il y a une grande dynamique actuellement, grâce au Réseau des villes sport-santé. Certaines choses bougent, mais il n’y a pas encore suffisamment d’engagement politique.
[ POUR ALLER PLUS LOIN ] Martine Duclos : "Il ne faut pas rembourser le sport sur ordonnance à 100 %" (6 octobre 2017) et Belkhir Belhaddad : “Il faut valoriser la prévention pour le médecin” (5 février 2018)
Qu’est-ce que ce réseau ?
C’est un groupe de travail au sein du réseau des villes santé de l’OMS, qui a pour objectifs d’échanger sur les pratiques, de soutenir et d’accompagner les villes qui se lancent… Par exemple, on essaie actuellement de mettre la pression à l’ARS des Hauts de France ; notre homologue de Marcq-en-Barœul va pouvoir rapporter que dans le Grand Est, l’ARS met 2 millions d’euros sur la table pour le sport-santé.
Selon vous, comment l’État pourrait participer ? Via la CNAM ?
La CNAM a toujours freiné. Toute la difficulté en France est de trouver le modèle économique pour les thérapies non médicamenteuses… alors que certains médicaments douteux sont, eux, remboursés.
La bascule n’a toujours pas été faite ; on va voir dans le dernier PLFSS de ce mandat s’il y a des moyens. Et on espère que le sport-santé sera dans le débat pour la présidentielle, mais la santé n’en est généralement pas un sujet. Ils vont être obligés post-Covid, mais ce sera certainement au niveau de l’hôpital ; il faudrait amener le thème de la prévention. Car aujourd’hui, même avec les JO, ça ne bouge pas énormément.
[ POUR ALLER PLUS LOIN ] Sport sur ordonnance : "Nous avons besoin de l'État" (17 octobre 2017)