Amélie Rébillard, enseignante-chercheuse à l’université Rennes 2 (UFR-APS), spécialisée en biologie moléculaire, s’intéresse aux effets produits par l’activité physique sur le cancer de la prostate. Son étude, qu’elle mène sur des rongeurs, apporte des enseignements qui ne peuvent être généralisés à d’autres pathologies.
Cet entretien sera scindé en deux parties. La première, ci-dessous, s’intéresse aux avancées concernant l’utilisation de l’activité physique comme traitement complémentaire aux cancers. La seconde, que nous publierons début octobre, permet de comprendre le fonctionnement de la recherche.
Vous travaillez au sein du laboratoire Mouvement-sport-santé. En quoi consiste-t-il ?
Adossé à l’École Normale Supérieure (ENS) de Rennes, notre laboratoire s’intéresse à deux axes majeurs : le sport-santé et le sport-performance. Son objectif est d’étudier l’activité physique dans son ensemble, à travers un versant « physiologie» et un versant « biomécanique ». Par exemple, certains de nos projets visent à comprendre les effets de l’activité physique sur l’évolution de différentes maladies comme le diabète ou les cancers (physiologie appliquée au sport-santé) mais nous cherchons également à améliorer le geste du sportif afin qu’il soit moins traumatisant (biomécanique appliquée au sport-performance).
Depuis quand les chercheurs s’intéressent-ils au lien entre l’activité physique et le traitement du cancer ?
La toute première publication, qui vient du Canada, date, il me semble, de 1987. Elle concernait les effets de l’activité physique sur le risque d’avoir un cancer, donc en prévention primaire. En prévention tertiaire, les études sont plus récentes mais de nombreux essais cliniques sur le sujet sont réalisés au Canada. Ils sont très en avance par rapport à ce qui se fait en France. « Bouger » fait davantage partie de leur mode de vie : ils ont la possibilité de travailler debout, ou assis sur des ballons, ou encore avec des ordinateurs intégrés à des tapis de course. Pour nous, ça semble être de la science-fiction… De plus, l’organisation hospitalière est assez différente de ce que nous connaissons ici puisque les centres sportifs sont intégrés aux hôpitaux. En France, les choses évoluent mais c’est loin d’être systématique.
Vous êtes à l’initiative de plusieurs études sur l’activité physique au sein de ce laboratoire. Sur quoi ont-elles porté ?
La première étude date de 2011 et s’intéressait au cancer de la prostate. Elle consistait à regarder si les antioxydants contenus dans du jus de grenade (parfois recommandé par les urologues) et/ou la pratique d’une activité physique pouvaient ralentir la croissance d’une tumeur de la prostate chez le rat. Notre hypothèse était que coupler deux stratégies antioxydantes (le jus de grenade et l’activité physique) pouvait être plus efficace que les stratégies seules. Nous avons alors constaté que le jus de grenade seul ralentissait la croissance tumorale, l’activité physique seule également, mais que la combinaison des deux n’engendrait aucun effet : les tumeurs de ce groupe de rats grandissaient à la même vitesse que celles issues de rats ne suivant aucun traitement. Ces résultats nous ont beaucoup questionnés… Nous avons alors tenté d’identifier les mécanismes responsables. (Guériat et al.,2014)
Une seconde étude a débuté en 2015, en collaboration avec Dr Ropars, chirurgien orthopédique au CHU de Rennes, référent dans la prise en charge du sarcome. L’objectif de ce projet était de déterminer si l’activité physique ralentissait également la croissance de tumeurs se situant dans le muscle. En effet, les muscles étant en contraction lors d’activité physique régulière, il était tout à fait possible que les effets soient différents. Nous avons ainsi montré que les tumeurs de souris actives étaient plus grosses que les tumeurs de souris inactives (Assi et al., 2017).
Dans ce cas, est-ce l’activité physique qui faisait accélérer la croissance ou l’inactivité qui la ralentissait ?
Notre protocole ne nous a pas permis de le déterminer. Cette étude est pour le moment au stade préclinique (chez l’animal), les résultats ne peuvent donc pas être transposés à l’homme. Malgré tout, elle questionne quant à la généralisation des recommandations d’activité physique en cancérologie.
En ce moment, vous travaillez sur les effets de l’activité physique sur le cancer de la prostate, couplé ou non à la radiothérapie. Comment fonctionnez-vous et quels sont les premiers résultats?
Ce projet financé par La Ligue contre le cancer 35 et 22 a pour but de déterminer l’impact d’une activité physique régulière sur l’efficacité de la radiothérapie, dans un modèle murin de cancer de la prostate. Les premiers résultats, très encourageants, montrent que les souris irradiées et faisant du « sport » ont une tumeur plus petite que celles recevant uniquement de la radiothérapie. Nous identifions maintenant les mécanismes impliqués dans cet effet. La marche est haute mais l’idéal serait de pouvoir développer cette étude en clinique.
Vous êtes particulièrement impliquée dans le cancer de la prostate. Pourquoi ?
Quand j’ai commencé à travailler sur le sujet, de nombreuses études existaient déjà sur le cancer du sein. Des séances d’activité physique adaptée commençaient à être proposées aux femmes durant leur prise en charge. Ce n’était le cas pour aucun autre cancer. Le cancer de la prostate m’a intriguée parce que la pratique d’une activité physique ne semblait pas avoir d’impact sur le risque d’avoir cette pathologie alors qu’elle avait un effet sur son évolution. Pour le cancer du sein et du côlon, l’effet est le même dans les deux cas. D’un point de vue moléculaire, c’est très intéressant. De plus, c’est un vrai challenge car les hommes adhèrent beaucoup moins au sport, ils ont davantage de barrières. Des barrières psychologiques, car la maladie touche, notamment, à leur virilité. Et des barrières physiologiques, comme la fonte musculaire liée aux traitements. La prise en charge des ces patients doit être pensée différemment.
Les bénéfices de l’activité physique sont-ils déjà prouvés pour d’autres cancers ?
Tout dépend de ce que l’on entend par « bénéfices ». Au sein du laboratoire Mouvement-sport-santé, nous nous intéressons principalement aux effets de l’activité physique sur la croissance de la tumeur, d’un point de vue moléculaire. En France, nous sommes quasiment les seuls à l’étudier. Cependant, le sport engendre de nombreux bénéfices, très bien connus dans la littérature comme : une amélioration de la qualité de vie et de la fatigue, une diminution de l’anxiété, une amélioration des capacités cardiorespiratoires, une réduction de la prise de poids liée aux traitements, une réduction de la fonte musculaire liée à l’hormonothérapie, une diminution de la mortalité en post-opératoire (cancer du poumon)….
Ces bénéfices ne sont pas décrits pour tous les cancers car les études se focalisent souvent sur les cancers les plus fréquents. Cela ne signifie pas que le sport est mauvais pour les autres cancers. Il faudrait simplement que les travaux s’élargissent.
Il reste encore beaucoup de choses à explorer et malheureusement, les financements sont plus facilement accordés aux projets ciblant des cancers fréquents…. C’est aussi ça, la réalité de la recherche.
Lorsque nous avons voulu travailler sur le sarcome, nous avons eu plus de mal à trouver de l’argent. Non pas que ce n’était pas intéressant, mais les budgets étant de plus en plus restreints, ce n’était pas « la priorité ».
Est-elle à proscrire dans certains cas ?
Oui, il y aura des patients avec des contre-indications, comme c’est le cas pour d’autres maladies. Tout dépend de la sévérité du cancer, des effets secondaires des traitements : quand on constate la présence de métastases osseuses, par exemple, mais aussi de l’anémie ou des difficultés cardiorespiratoires. Chaque patient est différent. Il y aura également des recommandations : éviter le soleil, ou la piscine chlorée pendant la période de radiothérapie, attention aux piqûres/griffures dans le cancer du sein (risque de lymphoedème)…
Trop d’activité physique peut-elle nuire au traitement ?
Je n’ai vu aucune étude décrivant que faire « plus » de sport pouvait être dangereux. Dans le cancer du sein, de la prostate et du côlon, certains travaux montrent même un effet “dose-réponse”. Après, tout dépend ce que l’on entend par « trop de sport ». La plupart des études testent des recommandations assez classiques comme 30 min/jour tous les jours ou bien 3 séances d’1h/semaine. Tant que d’autres modalités ne seront pas testées, on ne pourra pas en dire davantage. À ma connaissance, il n’y a pas encore eu de publications sur les effets de différents niveaux d’activité physique sur l’efficacité des traitements.
Les médecins savent-ils tout ça ?
J’ai envie de dire qu’ils le devraient… au minimum pour recommander de ne pas rester sédentaire. Entre 80 et 100 % des patients atteints de cancer décrivent une fatigue importante. Certains médecins préconisent alors, à tort, le repos.
On sait pourtant aujourd’hui que le sport permet de réduire significativement la fatigue, si les séances ne sont pas trop longues et, bien sûr, adaptées à chaque malade.
Dans le processus de prise en charge, nous voyons aussi que les recommandations sont assez « médecins-dépendants ». Certains sont conscients des bénéfices de l’activité physique et ils sensibilisent vraiment leurs patients. Mais d’autres n’y croient pas…
Est-ce qu’on se dirige vers une hyper-prescription, où le médecin sera capable de faire des recommandations sportives très précises en fonction de la pathologie ?
Grande question… La difficulté est de savoir à qui revient cette responsabilité. Pour moi, le médecin généraliste est là pour recommander la pratique du sport. Les patients échangent souvent longuement avec leur médecin traitant, ils ont confiance en lui et c’est un maillon très important de la chaîne. Mais a-t-il les compétences pour déterminer le type de séances (endurance, renforcement musculaire), la fréquence, l’intensité, la durée…. Il existe du personnel qualifié et formé pour la prise en charge de patients atteints de cancers et c’est vers ces services, associations ou clubs qu’il faut, à mon sens, se tourner. La prise en charge doit être individualisée au maximum.
Partant des résultats globalement positifs en termes de bénéfices qu’induit l’activité physique dans le traitement des cancers, qu’attendez-vous des politiques publiques ?
Je n’en suis même pas à attendre quelque chose. Il y a tellement à faire que les chercheurs n’ont pas le temps d’attendre. On aimerait surtout qu’il y ait davantage d’appels d’offres sur ce type de thématiques, car l’activité physique et la sédentarité restent encore à la marge. Il faut garder à l’esprit que la sédentarité est un facteur de risque modifiable et que les coûts de prise en charge des patients seraient nettement diminués si l’activité physique faisait davantage partie de nos vies.
Découvrez la seconde partie de l’entretien avec Amélie Rébillard : “Publier une étude, ça sensibilise les médecins”, lundi 2 octobre.