Caen & Limoges, décembre 2018
–Inciter une personne atteinte d’une maladie chronique ou une victime d’AVC à pratiquer une activité physique peut passer par de l’éducation thérapeutique (ETP). Prendre du temps avec elle, l’écouter pour lever ses freins, l’aider à trouver l’activité qui lui convient… Certaines équipes médicales proposent des programmes non pas pour coacher, mais pour sécuriser les patients dans leur pratique.
“Je construisais une relation assez forte avec mes patients. Mon but n’était pas de les punir avec un bâton lorsqu’ils n’avaient pas fait suffisamment d’activité physique (AP), mais de les accompagner, de les sécuriser dans cette activité.” Benjamin Kammoun, doctorant en Staps après un master de recherche ‘Vieillissement, handicap, mouvement, adaptation’ à l’université de Limoges, a pris en charge des personnes victimes d’AVC au sein de l’équipe mobile et pluridisciplinaire Hémipass, émanant du service de médecine physique et de réadaptation de l’hôpital limogeois Jean-Rebeyrol. Encadré notamment par un médecin et une infirmière, il a étudié dans une thèse l’impact de l’éducation thérapeutique (ETP) chez les patients en phase subaiguë d’un AVC.
Benjamin Kammoun distingue 3 phases après un AVC : la phase “aiguë”, environ 2 semaines après l’accident ; la phase subaiguë, jusqu’à 6 mois ; et la phase chronique au-delà. Il a décidé de ne pas intégrer la phase aiguë dans son étude, considérant que celle-ci a pour “priorité d’amener le patient à un état médical stable”.
L’ETP, selon un rapport de l’OMS-Europe publié en 1996, “vise à aider les patients à acquérir ou maintenir les compétences dont ils ont besoin pour gérer au mieux leur vie avec une maladie chronique”. Parmi ces compétences, l’AP, qui va avoir de nombreux bénéfices sur la qualité de vie et la santé du patient : d’abord en limitant le risque de récidive, mais aussi en augmentant la capacité à l’effort et en agissant sur l’anxiété et la fatigue. “La problématique, après une maladie chronique quelle qu’elle soit, c’est l’observance”, c’est-à-dire le fait d’observer une règle de conduite, souligne le jeune homme. Il l’explique par la difficulté, pour un patient, de passer de l’hospitalisation au retour à la maison. “À l’hôpital, il passe plusieurs heures en plateau technique, voit un kinésithérapeute, a la visite du médecin… Il est très suivi, alors qu’en sortant, il ne verra plus qu’un kiné en libéral une fois par semaine, une infirmière ponctuellement… Et il va se sentir abandonné, passant de ‘Je peux poser des questions à n’importe qui’ à ‘Je vais consulter Doctissimo’, de ‘Je suis dirigé’ à ‘Qu’est-ce que je dois faire ?’”
C’est ici que peut intervenir l’ETP. Chez des patients plutôt âgés, comme c’est souvent le cas dans le cadre d’un AVC.
Un accident vasculaire cérébral (AVC) résulte de l’interruption de la circulation sanguine dans le cerveau, en général quand un vaisseau sanguin éclate ou est bloqué par un caillot. L’apport en oxygène et en nutriments est stoppé, ce qui endommage les tissus cérébraux. Ses symptômes : visage paralysé, difficulté à bouger un membre, trouble de la parole pour les plus fréquents, mais aussi confusion mentale, baisse de la vision unilatérale, vertiges, perte de l’équilibre ou de la coordination, évanouissement ou inconscience.
Source : OMS
Il existe 2 types d’AVC. L’AVC ischémique représente 80 % des AVC et leur probabilité de survenue augmente exponentiellement avec l’âge (âge moyen : 71 ans). Ils sont consécutifs à une sténose ou une obstruction d’une artère, à l’origine de la baisse du débit sanguin en amont. L’AVC hémorragique est indépendant de l’âge : il s’agit d’une rupture d’un vaisseau cérébral.
Source : thèse de Benjamin Kammoun.
Impact d’un programme d’éducation thérapeutique du patient à l’activité physique chez des patients en phase subaiguë d’AVC.
Médecine humaine et pathologie. Université de Limoges, 2015. Français. AVC ischémique, “le but est de trouver le mécanisme qui va les amener à” commencer ou poursuivre une AP. Car après cet accident, “en plus des potentielles séquelles neurologiques et motrices, il existe une forte prévalence de dépression et de fatigue pathologique chez les victimes. Qui se disent : ‘J’ai fait un AVC, je ne peux plus bouger.’” La peur de la récidive peut être très présente, la peur de se blesser en essayant de reproduire un geste vu avec le kiné aussi. Selon le doctorant, le patient peut également avoir du mal à se motiver alors qu’il se sent “moins capable” et qu’il n’est plus entouré médicalement.
L’AVC est la première cause de handicap acquis (décelé après la naissance). Parmi ces séquelles, l’hémiplégie, une paralysie partielle, qui affecte une moitié (gauche ou droite) du corps, et peut concerner une ou plusieurs parties du corps en même temps (un bras, une jambe…), toujours sur un seul côté du corps.
Source : Larousse
Il peut également être freiné par l’appréhension de ne pas atteindre les recommandations de diverses autorités de santé ; les fameuses 30 minutes d’AP “modérée” par jour de l’OMS, ou les 20 à 60 minutes, 3 à 7 jours par semaine, préconisées par l’American academy of neurology (AAN). “Il faut bien donner un cap symbolique, mais au final, personne ne sait vraiment ce qu’est l’activité physique modérée.
Il faut déconstruire le mythe de l’AP : pas besoin de mettre un short, ses runnings… Des gens avec de grosses séquelles, on leur dit déjà que vider son lave-vaisselle, c’est 5 minutes d’AP de gagnées dans la journée, et c’est déjà bien ! Sur des populations pathologiques, c’est important qu’il y ait des soignants, des aidants, qui pondèrent ces recommandations.
Par exemple, un jeune homme de 25 ans, victime d’un AVC sans gravité, va pouvoir les respecter, mais il faut pouvoir les adapter aux situations.”
C’est l’objectif de l’Hémipass. L’équipe se déplace au domicile des patients, dans toute la Haute-Vienne. “Selon les demandes ou les problèmes identifiés, ses interventions sont ponctuelles pour une évaluation globale ou s’échelonnent sur plusieurs mois pour un suivi impliquant un ou plusieurs membres de l’équipe”, est-il indiqué sur son site. Les patients que suivait Benjamin Kammoun étaient munis d’un actimètre.
Actimètre : appareil qui se porte au poignet et contient des capteurs capables d’enregistrer tous les mouvements, même ceux de faible intensité.
“Le programme d’ETP était composé d’appels hebdomadaires et de visites chez le patient, toutes les 3 semaines, précise l’ancien étudiant en Staps. Mon rôle était entre autres de dédramatiser le message, leur faire comprendre que la pratique d’une AP est bonne pour eux, mais que s’ils passent Noël en famille et n’ont pas le temps de le faire, ce n’est pas grave.” La méthode ? La discussion et l’écoute.
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NE PLUS DIRE ‘PRISE EN CHARGE’, MAIS ‘PARTENARIAT’
Pour lui, si l’accompagnement coûte cher en moyens humains, “n’est-il pas nécessaire ? On peut imaginer des solutions mixtes, une visite plutôt tous les 2 mois par exemple, ou une longue consultation avec un médecin avant de quitter l’hôpital… Sur le papier, l’ETP, c’est génial, mais il faut ces moyens humains, il faut des gens formés pour que ce soit efficace.” Des programmes se développent, et doivent faire l’objet d’une validation de l’Agence régionale de santé. C’est le cas à l’Institut de médecine physique et de réadaptation (IMPR) d’Hérouville-Saint-Clair, en Normandie, où un programme a été créé en collaboration avec le CHU de Caen et l’hôpital d’Aunay-sur-Odon. “Nous avons obtenu l’autorisation de l’ARS en mai 2015, en échange de notre engagement d’avoir tous nos éducateurs formés pour 2017, avec un minimum de 40 heures”, note Catherine Tiberghien, la référente du programme. Elle-même, kiné de formation, a passé un Diplôme universitaire en éducation thérapeutique. “
Cela fait changer le regard sur la maladie, mais aussi le modèle médical : on n’est plus dans un positionnement avec le médecin en haut et le patient en bas, et celui-ci n’est plus ‘pris en charge’, mais ‘accompagné.’ Tout le monde est au même niveau.”
Dans cet institut du Calvados, comme avec l’Hémipass limogeois, l’ETP s’effectue sur la base du volontariat. En introduction, les patients font d’abord un bilan éducatif, et sont ensuite invités, avec leurs proches, à participer à une séance pour comprendre ce qu’est l’AVC : “On passe en revue les conséquences possibles, les facteurs de risques, en montrant que l’on peut jouer sur certains d’entre eux. Les questions les plus souvent posées concernent la peur de la récidive”, note la responsable. Des ateliers, par thématique, sont ensuite proposés. “En AP, il en existe 4, dans lesquels interviennent selon leurs domaines de compétences un éducateur et/ou un ergothérapeute, voire un patient ‘expert’. Le premier rappelle ce qu’est l’AP, pour lever le frein de l’inquiétude liée au mot sport”, explique-t-elle. Des exemples sont donnés grâce à des photos : “Monter les escaliers, faire du jardinage… C’est de l’activité physique.” Une infirmière ou un interne est présent pour le deuxième atelier, qui vise à comprendre comment sécuriser sa pratique. Viennent ensuite les ateliers pratiques : jardinage donc (l’IPMR dispose d’un jardin thérapeutique), aquagym, pétanque ou encore tennis de table, entre autres. Enfin, le dernier atelier est intitulé ‘Je planifie mon AP’ : “Chacun raconte les activités testées, la fatigue ressentie, l’essoufflement grâce à l’échelle de Borg, les difficultés rencontrées… On fait le point pour aider la personne à poursuivre l’activité qui lui convient le mieux.”
“Ce qui était un gros biais dans ma thèse : ceux qui ne veulent pas participer au protocole de recherche clinique, parce qu’ils disent ne pas s’en sentir capable ou parce qu’ils n’ont pas envie de recevoir des gens toutes les 3 semaines, comment les touche-t-on ?” interroge Benjamin Kammoun.
Elle-même a trouvé la sienne : le vélo. Plus précisément, le ‘trike’, ou tricycle couché. Au-delà de son DU, Catherine connaît bien la problématique de l’ETP de par son expérience personnelle : elle est atteinte de sclérose en plaques. “Si je parle des problèmes d’équilibre, de chutes… Je sais de quoi je parle !” Reste à casser l’image de “vélo de fainéant” associée à son moyen de transport, avec lequel on pourrait “dormir en roulant” : “C’est tellement confortable pour le dos ! Moi, j’ai deux roues à l’avant et une à l’arrière, mais il existe des modèles dans l’autre sens. J’ai une assistance électrique, et une poignée de chaque côté du guidon pour changer les vitesse et les plateaux.” Quant à l’image de “vélo pour handicapé”, elle rétorque : “Les records de vitesse ont été battus avec des vélos de ce type, à 2 roues : on développe plus de force avec les jambes allongées.” L’association caennaise Sport-handi-nature, qui organise des sorties hebdomadaires, loue à l’institut des vélos adaptés de façon occasionnelle. Comme quoi, les solutions ne manquent pas pour pratiquer une activité physique avec une pathologie. L’important pour un patient est de les connaître et de se sentir en sécurité dans sa pratique, ce à quoi doit aider l’ETP. À l’IMPR, une demande devrait être faite auprès de l’ARS pour développer un autre programme, concernant cette fois-ci la maladie de Parkinson.
[ POUR ALLER PLUS LOIN ]
- Des stages d’activité physique pour lutter contre Parkinson (novembre 2017)
- Pascaline Metzger : “Je suis persuadée que la course ralentit mon Parkinson” (septembre 2018)
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Visage paralysé
Difficulté à bouger un membre
Trouble de la parole
Ce peut être un AVC : appelez vite le 15 !
Plus d’informations sur www.accidentvasculairecerebral.fr
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Cet article est un éclairage de l’article “Papy fait (le tour) de la résidence”. Cliquez ici pour revenir à ce papier principal.