Caen, vendredi 28 septembre 2018
Claire Fichet, interne en psychiatrie, est montée à bord du voilier de l’hôpital psychiatrique de Caen, avec 5 patients schizophrènes, pour la régate Voile en tête, en juin. Ses observations ont fait l’objet d’une thèse, qui montre que grâce au sport, les malades voient leurs symptômes diminuer et leur qualité de vie s’améliorer.
Mi-juin, une régate particulière prend le départ depuis le port de La Trinité-sur-Mer, dans le Morbihan. À bord des 18 voiliers habitables venus de France, de Suisse et de Belgique, les membres des équipages ne sont pas des marins aguerris, mais 5 amateurs en situation de handicap mental ou psychique, accompagnés d’un skipper professionnel et de 2 soignants. Cet événement annuel porte le nom de “Voile en tête”, en référence à l’association européenne qui l’organise, Sport en tête, dont la psychiatre caennaise Caroline Agostini est la présidente nationale.
“On s’est vite rendu compte qu’il fallait que j’aille sur le bateau pour comprendre. Au départ, mon étiquette “médicale” pouvait faire peur aux patients, mais ils ont vite vu que j’étais là pour observer… et mettre la main à la pâte, bien sûr !” Pour cette 27e édition, le voilier de Raynald Fortin, sur lequel ont embarqué les patients de l’Établissement public de santé mentale (EPSM) de Caen, compte un membre en plus : Claire Fichet. Ses cheveux châtains noués en un chignon lâche et vêtue d’une marinière de circonstance, cette ex-interne en psychiatrie semble être restée à bord, alors qu’elle vient de présenter les conclusions de sa thèse, portant sur la pratique du sport chez les patients psy, et de prêter serment.
“Dans ma thèse, je dis que le sport est une thérapie adjuvante”, résume-t-elle. Tant sur le plan humain que sur le plan physique, comme elle l’a démontré. De fait, pour les personnes atteintes de ce type de pathologie, l’humain prend une dimension d’autant plus importante les patients schizophrènes (qui composaient exclusivement l’équipage caennais) présentent des symptômes qui altèrent leurs relations sociales.
“La meilleure résolution qu’ils pouvaient prendre après Voile en tête, c’était de continuer à se voir. Et ils continuent”, se félicite la jeune médecin, qui évoque une sortie au cinéma qui a rassemblé les 5 patients, trois semaines après la régate. “L’une d’eux ne sortait plus, toutes ses sorties étaient liées à l’EPSM.” Il s’agit de Julie, une quadragénaire avec qui Claire Fichet a partagé sa cabine à bord et qui lui a confié : “On est hyper à l’étroit sur le bateau, mais je ne me suis jamais sentie aussi libre. La régate m’a remise à flot.” La jeune psychiatre relève également les cas d’Arnaud, qui s’est passé d’anxiolytiques sur le bateau et a décidé de reprendre le travail, de Pierre et Gaël qui ont commencé à jouer au basket, de ce patient apragmatique (L’apragmatisme est un trouble d’origine psychique se traduisant par l’incapacité de réaliser une action de la vie quotidienne.) qui proposait à ses coéquipiers de prendre un café sur le port, de celui qui disait que l’expérience redonnait du sens à sa vie… “Nous avons emmené des patients stabilisés avec lesquels on voulait travailler la confiance, l’estime de soi. Et on a observé des résultats pendant la semaine, notamment quand on a passé la ligne d’arrivée… On a vu des patients habituellement amimiques (L’amimie est la réduction de la mobilité du visage, indépendante de toute paralysie. Autrement dit, la diminution des mimiques du visage, qui enlève toute expression.) qui se sont illuminés, comme Julie, que j’ai entendue rire pour la première fois sur le bateau”, se souvient-elle avec émotion. Après 11 semaines d’entraînement hebdomadaire sur le canal de Caen-la-Mer, l’équipage caennais est arrivé 5e, cette année, de cette compétition inscrite au calendrier de la Fédération française de voile. Une autre fierté pour les malades, qui se sentent ainsi comme tout le monde. Pour Claire Fichet, l’expérience était d’abord bénéfique pour ses bienfaits sur les troubles associés à la schizophrénie : phobie sociale, syndromes dépressif et d’anxiété… Via l’aspect collectif, le nécessaire respect des règles en mer, ou encore l’utilisation du winch (Équipement fixe du bateau qui sert à contrôler la voilure grâce à des cordages) : “Ils aimaient beaucoup s’en occuper, parce que si tu te goures d’1 mm, tu perds 5 minutes dans la course. Alors que quand tu l’utilises bien, que le skipper te félicite, et qu’en plus tu doubles un concurrent… C’est quelque chose !” LUTTER CONTRE LA SÉDENTARITÉ ET LA DÉSORGANISATION Avec l’aide du Dr Maxime Tréhout, chef de clinique au centre Esquirol du CHU de Caen, la jeune femme a également étudié pour sa thèse les bienfaits de Voile en tête sur les symptômes des patients schizophrènes. Symptômes qui conduisent à une extrême sédentarité, tandis que leurs traitements sont sources de nombreux effets secondaires, le tout favorisant les maladies cardio-vasculaires
Référence bibliographique
Les patients atteints de schizophrénie sont encore plus sédentaires que la population générale : Stubbs et al., 2016. « How Sedentary Are People with Psychosis? A Systematic Review and Meta-Analysis »
Référence bibliographique
La première cause de mortalité chez les patients atteints de schizophrénie serait les maladies cardiovasculaires : Ha et al., 2017. « Mortalité des personnes souffrant de troubles mentaux. Analyse en causes multiples des certificats de décès en France, 2000-2013 »
“Qui sont la première cause de l’espérance de vie réduite,
Référence bibliographique
Les patients atteints de schizophrénie meurent 15 à 20 années plus tôt que la population générale : Laursen et al., 2014 « Excess Early Mortality in Schizophrenia »
de 15 à 20 ans par rapport à la population moyenne, des patients atteints de psychoses, poursuit-elle. C’est le premier argument pour les mettre au sport.” Le deuxième, c’est l’efficacité de l’activité physique sur des symptômes que les antipsychotiques n’arrivent pas à traiter. Pour le Dr Fichet, il existe quatre familles de signes cliniques pour la schizophrénie : les
Selon l’Inserm, « ce sont les plus impressionnants : un sentiment de persécution (paranoïa), une mégalomanie, des idées délirantes bizarres, invraisemblables et excentriques, mais également d’hallucinations sensorielles. Ces dernières sont le plus souvent auditives, avec une ou plusieurs voix discutant des pensées du patient. Elles peuvent aussi être visuelles, olfactives, tactiles ou gustatives. »
symptômes positifs ou productifs, les
Selon l’Inserm, « ils correspondent à un appauvrissement affectif et émotionnel avec une mise en retrait par rapport à la famille et la société. Les cliniciens parlent souvent d’émoussement de l’émotivité, de la communication et de la volonté. Les patients s’isolent, présentent une perte d’intérêt, une difficulté à entreprendre des actions et paraissent insensibles au monde extérieur. » Claire Fichet évoque notamment l’avalition – pas d’initiatives -, l’anhédonisme – plus de plaisir -, l’allogie – pauvreté du discours – et le repli social.
symptômes négatifs, les
Selon l’Inserm, « il existe par ailleurs une désorganisation de la pensée, des paroles, des émotions et des comportements. Les patients évoquent des sentiments contradictoires dans une même discussion, tiennent des discours incohérents. A ces symptômes s’ajoutent très souvent une baisse de l’attention, de la concentration, de la mémoire ou encore de la compréhension. Cela se traduit notamment par une incapacité à planifier des tâches simples, comme faire son travail ou des courses, source d’un handicap majeur dans la vie quotidienne. »
signes de désorganisation et les troubles cognitifs. “Les médicaments agissent très bien sur les symptômes positifs, mais quand on interroge les patients, ils sont surtout gênés par les négatifs, regrette-t-elle. Certaines études montrent que le score du test
Positive and negative syndrome, ou échelle des symptômes positifs et négatifs, servant à mesurer les psychoses.
Panssbaisse après le sport, et on l’a observé avec Voile en tête.” D’autant plus que l’encadrement par un professionnel permettrait, selon d’autres recherches, d’augmenter de façon plus efficace la motivation et l’observance, qui font partie des troubles cognitifs. En somme, l’activité physique joue, pour les patients schizophrènes, sur 3 tableaux : les maladies somatiques (rapport au corps) comme le diabète,
Référence bibliographique
L’AP améliore tous les symptômes de la maladie et les troubles associés : Gorczynski et al., 2010. « Exercise Therapy for Schizophrenia »
les symptômes et les troubles associés0. “Tout cela améliore la qualité de vie des patients. Et sur le bateau, quand j’observais l’un des membres de l’équipe, je ne me disais pas : ‘Il est moins anxieux’, ou moins ‘déprimé’, mais simplement ‘Il est plus heureux’.” Claire Fichet, qui estime que sa pratique de la médecine a été “transformée” par le séjour en mer, entend bien parler de sport à chacun de ses futurs patients. Notamment aux enfants qui souffrent d’hyperactivité ou de troubles du comportement : elle prépare actuellement un Diplôme d’études supérieures complémentaires (Desc) en pédopsychiatrie. “J’ai travaillé à l’Accueil de jour pour enfants, rattaché à l’EPSM. Certains sont déjà obèses à 7 ans, j’aimerais pouvoir leur proposer une hygiène de vie grâce au sport”, précise-t-elle. Et pourquoi pas élargir Voile en tête aux plus jeunes… et aux enfants autistes ? “Le vent sur la peau, le bercement des vagues… L’aspect sensoriel de la voile peut être bénéfique, assure celle qui va rejoindre le Centre ressources autisme (CRA). C’est une idée à travailler avec le Dr Agostini.” Qui ne manquera probablement pas de relever le défi. La présidente française de Sport en tête entend bien poursuivre sa mission de promotion du sport dans les hôpitaux psychiatriques. Qu’elle aimerait voir labelliser, tout en proposant des formations pour les futurs soignants. Cet article est un éclairage du dossier sur le sport sur ordonnance à Caen.
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