Caen, jeudi 17 février 2022
DEPUIS LA LOI DE MODERNISATION DU SYSTÈME DE SANTÉ DE 2016, LE SPORT-SANTÉ A PRIS SA PLACE DANS LA SOCIÉTÉ. MAIS SI LA PRISE DE CONSCIENCE INDIVIDUELLE A FAIT SON CHEMIN, IL MANQUE TOUJOURS UN VÉRITABLE COUP DE POUCE DE L’ÉTAT POUR FAIRE AVANCER LA CAUSE.
Vous vous souvenez ? Il y a un an, Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale (EN), de la Jeunesse… et des Sports, mouillait le costume, dans une école parisienne, face aux caméras de BFM TV. Objectif : promouvoir les 30 minutes d’activité physique quotidienne (APQ) en milieu scolaire.
Mais aujourd’hui, où en est-on de ce projet visant à lutter contre la sédentarité dès le plus jeune âge ? On a une bonne nouvelle à vous annoncer : ça avance !
Une circulaire, publiée au Bulletin officiel de l’EN* jeudi 20 janvier, veut rapprocher les écoles des associations sportives dans le cadre d’un dispositif nommé Une école – Un club.
Cette initiative « répond en partie aux recommandations de l’Organisation mondiale de la santé, qui estime à une heure d’activité physique quotidienne le besoin minimum pour les enfants. (…) Et contribue aussi à renforcer le goût pour le sport chez les plus jeunes », est-il écrit.
Le ministère espère mobiliser la moitié des écoles en 2022 avant d’élargir le dispositif d’ici 2024… sur la base du volontariat.
Voilà l’un des premiers pas sur les 10 000 recommandés. Néanmoins notable, puisque l’on pourrait y voir des bénéfices sur les capacités cardiaques des enfants, sur leur envie de se bouger en grandissant et, bien sûr, sur la prévention primaire qui doit limiter l’apparition de maladies chroniques.
Sidération
Mais on est encore loin des avancées promises. On a parfois même l’impression de reculer. D’abord parce que le ministère des Sports est passé, en 2020, sous la tutelle du ministère de l’Education nationale et de la Jeunesse, en même temps que la nomination de Roxana Maracineanu comme ministre déléguée. « Ce n’est pas une reconnaissance », déplore Michel Savin, sénateur (LR) de l’Isère.
Il pointe aussi la « constante diminution du budget consacré au sport » ; son confrère de la Creuse (PS), Jean-Jacques Lozach, évoque le chiffre de 0,13 % du budgeet de l’État. Dérisoire. Il ajoute :
« Il y a une prise de conscience individuelle, le problème est qu’elle n’est pas évidente au niveau des pouvoirs publics. »
Les initiés sont d’ailleurs sidérés que le sujet n’ait toujours pas atteint les oreilles d’une bonne partie des responsables politiques. En janvier 2021, différentes commissions sénatoriales étaient réunies pour des auditions autour du sport-santé. « Un certain nombre ont découvert l’ampleur de l’enjeu », relève Michel Savin, qui en était à l’initiative. Mais il ne leur jette pas la pierre : « Certains ne se sont pas trop penchés sur ce sujet-là. »
Il reproche néanmoins aux autres, « ceux qui connaissent », d’être encore « trop frileux pour franchir l’étape primordiale : que la Sécurité sociale prenne en compte cette prescription. Même ceux qui disent ‘oui, l’activité physique est reconnue dans certains traitements’, ne sont pas encore convaincus pour aller plus loin. »
« Je ne sais même pas ce qui bloque », concède Christèle Gautier, cheffe de la direction de Sports au sein du ministère éponyme, en charge de la stratégie nationale sport-santé. Valérie Fourneyron, ancienne ministre à l’origine de l’amendement sur la prescription d’activité physique, a sa petite idée : « Il est évident que ce sont le ministère de la Santé et la Caisse nationale d’assurance maladie qui freinent. » C’est un problème de volonté politique.
“Lecture budgétaire”
Pourtant, on le sait, les preuves sont là. Michel Savin alerte :
« On ne va rien apprendre de plus avec le temps, on aura juste plus de personnes qui ne vont pas pouvoir bénéficier de cet avantage. »
« Quand va-t-on rentrer concrètement dans des mesures qui ne coûtent pas un centime à notre pays et qui peuvent rapporter beaucoup ? » insistait Jean-Raymond Hugonet, sénateur de l’Essonne, lors de ces fameuses auditions. Parier sur le sport-santé reste un investissement, mais qui peut permettre de sacrées économies.
« C’est long (à mettre en place) parce qu’il y a une lecture très budgétaire du sujet, avec des enjeux qui ne sont pas neutres au niveau du budget annuel », juge Michel Savin. L’année dernière, il avait proposé une expérimentation à l’échelle d’une région, pour laquelle la Sécurité sociale, des complémentaires santé et le patient participeraient au financement. « Là, on m’avait dit que j’allais trop vite. Mais soit on s’aperçoit que c’est bénéfique et on le développe au niveau national, soit on arrête. »
[ POUR ALLER PLUS LOIN ] Alexandre Feltz : “Il est indispensable que les services déconcentrés de l’État s’engagent à co-financer le sport-santé” (8 décembre 2021)
On remarque que le temps nécessaire à l’activité physique adaptée de faire ses preuves, en termes de bénéfices pour les patients mais surtout en termes d’économies, n’est pas le temps politique. « Quand il faut décider, c’est toujours compliqué en France », regrette Christèle Gautier, de la Direction des sports.
Son souhait : intégrer des mesures financières dans le Projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) de 2022, pour une généralisation dès 2023. Qui permettraient de prendre en charge financièrement le bilan d’AP et le programme Apa identifié – qu’elle estime à 500 € – « pour toute personne qui en a besoin ». Elle liste : malades cardiaques opérés en phase 3, personnes identifiées à fort risque pré-diabétique, ceux traités pour un cancer…
« Cela coûterait 59 millions d’euros par an, pour une économie d’un milliard ! Sauf que c’est de l’investissement, donc l’Assurance maladie l’identifie comme un risque pour les finances publiques… »
“Il y a du boulot pour tout le monde”
Autres croyances : d’une part, que l’on fasse faire du « sport » aux malades – là, « il faut qu’on leur montre ce que c’est ». D’autre part, que cela ouvre le remboursement aux licences sportives de personnes non malades. François Cormier-Bouligeon, député (LREM) du Cher, imageait, à l’occasion du cycle de conférences Le Parlement du sport en 2018 : « Le gouvernement est réticent parce qu’on a peur de mal définir le périmètre de ce qu’on va rembourser. La prévention primaire ? Bien sûr que non ! »
À l’occasion d’une mission flash en 2018, le député (LREM) de Moselle, chiffrait à 90 milliards d’euros annuels le coût du traitement des ALD. « Soit 60 % des dépenses de l’Assurance maladie ! » Quant à Christèle Gautier, elle alerte sur le fait que le nombre de personnes en Affections longue durée (ALD) et des personnes âgées ne cesse d’augmenter.
« Il faut comprendre que 40 millions de Français auraient besoin d’Apa. »
Et pour l’ensemble de ces potentiels bénéficiaires, « il faut que tous les intervenants puissent être mobilisés », insiste Christèle Gautier. Pas uniquement les enseignants en activité physique adapté (EAPA) issus de la filière Staps, mais aussi des éducateurs sportifs formés dans les associations, par exemple.
Elle poursuit : « Les Staps Apa sont reconnus pour intervenir auprès de personnes souffrant de limitations fonctionnelles sévères. Il faut que les éducateurs sportifs soient reconnus comme étant légitimes, compétents à prendre en charge les personnes avec des limitations fonctionnelles modérées, qui constituent le gros du bataillon, ou sans limitation. » Grossièrement, à l’hôpital, des Staps Apa ; sur le reste du territoire, d’autres professionnels.
« Il y a du boulot pour tout le monde, les EAPA ne sont pas assez nombreux ! »
« Aujourd’hui, on les voit multiplier les interventions dans une foultitude de structures : une demi-journée en Ehpad, dans un centre hospitalier, dans un IME », relevait Jean-Jacques Lozach, que nous avons contacté. Au cours des auditions du Sénat, une phrase les avait d’ailleurs fait bondir : « N’y a-t-il pas une réflexion à mener sur un nouveau métier à créer ? Une nouvelle filière de formation santé-sport à créer ? »
[ POUR ALLER PLUS LOIN ] Sport-santé au Sénat : “L’enjeu n’est plus de savoir s’il faut prescrire” (9 février 2021)
Maladroite, cette interrogation invitait surtout à élargir le cercle des professionnels reconnus pour encadrer les patients et les personnes âgées. La faute au décret de 2017 ? « Il est trop standardisé sur le profil des personnes qui prennent en charge », relevait Belkhir Belhaddad dans sa mission flash.
« En réalité, sur le terrain, il peut très bien y avoir une complémentarité entre les kinésithérapeutes et les Eapa. »
“Formation lacunaire”
Surtout, il est indispensable de reconnaître leurs compétences. Preuve de ce « manque de reconnaissance statutaire », selon le député de la Creuse : « La profession ne figure même pas dans la grille indiciaire des centres hospitaliers. » Autre point d’amélioration : qu’ils soient identifiés par les professionnels, « médecins généralistes, mais aussi spécialistes, infirmières, pharmaciens », liste Christèle Gautier.
Ce manque de reconnaissance, les APA ne cesse de le regretter. C’est notamment le combat de Mathieu Vergnault, président de la SFP-APA (Société française des professionnels de l’activité physique adaptée). Récemment, il a de nouveau été ulcéré de voir à quel point sa profession a été écartée des prises de décisions. Une proposition de loi visant à « démocratiser le sport en France » a été adoptée par l’Assemblée Nationale en janvier. Cette loi, adoptée en première lecture, pourrait permettre aux masseurs-kinésithérapeutes de «renouveler et adapter, sauf indication contraire du médecin, les prescriptions médicales initiales d’activité physique adaptée, dans des conditions définies par décret.” Autrement dit, les kinés auront le même pouvoir de prescription que les médecins, mais pas les Eapa. «On se plaint que les généralistes ne sont pas formés à la prescription, mais les kinés ne le sont pas non plus. On risque de désorganiser tout le secteur, et nous sommes vraiment déçus de ne pas figurer en bonne place dans les textes, alors que c’est notre travail au quotidien et que nous fournissons la majorité des études scientifiques dans le domaine », déplore Mathieu Vergnault.
Dans les faits, les EAPA n’ont pas de carte professionnelle spécifique et ne figurent même pas sur les annuaires de santé. « Officiellement, je n’ai pas le droit de fournir des données de santé à d’autres professionnels du sport. La loi sur le RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données) ne le permet pas. Un médecin ne peut rien me transmettre car je ne suis pas soignant. On doit donc à chaque fois faire des bilans motivationnels et le patient doit faire passer le mot aux autres professionnels qu’il peut croiser. C’est une grosse perte de temps. »
Encore une fois, une question de coordination, d’orientation… et de formation ! C’est le troisième verrou, qui se révèle être le plus gros frein. Les étudiants en médecine commencent à avoir des cours dédiés, mais selon la chargée de la stratégie sport-santé, « le premier enjeu, ce sont les médecins déjà en activité ».
Comme Belkhir Belhaddad l’avait souligné, il est important qu’ils soient rémunérés. « Il faut qu’ils puissent le valoriser auprès des caisses d’assurance maladie », insiste Christèle Gautier.
« Cela fait 3 ans qu’on est engagé là-dessus et je ne vois pas vraiment d’évolution. La formation continue existe, mais l’Agence nationale du développement professionnel continu (DPC) ne l’identifie pas comme les formations les plus importantes. »
Même constat de Marie Tamarelle-Verhaeghe, députée (LREM) de la 3e circonscription de l’Eure : « Nous avons pu observer la formation lacunaire des médecins sur la prescription », fustigeait-elle lors de la présentation d’un rapport, le 7 janvier, sur une initiative du groupe socialiste **.
Elle proposait même d’instituer un ministre délégué à la prévention. À l’approche de l’élection présidentielle, et dans l’optique de la France nation sportive promise pour 2024, peut-être sera-t-elle entendue.
* et adressée aux préfets, directeurs académiques, conseillers pédagogiques ou encore directeurs d’école et enseignants, etc.
** rapport du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques portant sur l’évaluation des politiques de prévention en santé publique.