Paris, lundi 1er avril 2019
L’Assemblée nationale a accueilli ce semestre le Parlement du sport, un cycle de 4 colloques à l’initiative de 3 députés La République en marche. Le but, discuter avec les acteurs du sport en vue d’une future loi « Sport & société ». Le volet dédié au sport-santé, qui s’est tenu quelques jours après la publication de la nouvelle stratégie nationale, n’a pas manqué de faire réagir certains spécialistes de la cause, qui dénoncent son manque d’ambition, puisqu’elle ne concerne – pour le moment – que les femmes opérées après un diagnostic de cancer du sein. La question du financement a également largement occupé les deux heures de discussion.
« Ça suffit ! »
À la tribune de la salle de conférence de l’Assemblée nationale qui accueillait, lundi 1er avril, le troisième volet du Parlement du sport était organisé à l’initiative de 3 députés LREM : Belkhir Belhaddad (Moselle), François Cormier-Bouligeon (Cher) et Cédric Roussel (Alpes-Maritimes), avec la commission des Affaires culturelles et de l’éduction. Quatre thèmes ont été abordés au cours de ce cycle de colloques : vision du sport à l’horizon 2030 ; économie du sport ; sport-santé ; gouvernance des fédérations et démocratisation des pratiques. À cette occasion, le Dr Alexandre Feltz ne mâche pas ses mots. Depuis 2012 et le lancement, à son initiative, du premier dispositif de sport sur ordonnance à Strasbourg, il s’agace du peu d’avancées en matière de sport-santé.
La Stratégie nationale sport-santé (SNSS) a été présentée quelques jours plus tôt. Elle a pour objectif « que le plus grand nombre de personnes intègre la pratique d’une activité physique et sportive à son quotidien, de manière régulière, durable et adaptée, pour améliorer l’état de santé de la population », à tous les âges de la vie : dès l’école jusqu’à la retraite, en passant par la vie professionnelle. Parmi les 5 axes de travail, l’activité physique (AP) en prévention, et à visée thérapeutique. Outre les fameuses maisons sport-santé, dont une centaine doit être labellisée cette année en s’appuyant sur les initiatives existantes, la stratégie prévoit la création de parcours intégrés pour les femmes opérées après un diagnostic de cancer du sein, afin « d’accompagner les femmes dans leur rétablissement après la chirurgie ». Et c’est là que le bât blesse : seulement les femmes ? Seulement pour un cancer du sein ? Seulement après une opération ?
Pourtant les spécialistes l’affirment, les preuves sont là. Publié en février 2019, un rapport de l’Inserm a même compilé les bienfaits de l’AP et montré qu’elle pouvait, en première intention, guérir. Ces 3 pathologies sont le diabète de type de 2, les artériopathies oblitérantes des membres inférieurs et la dépression légère sans avoir recours à un agent pharmacologique. Malgré cela, les actions concrètes tardent à être développées. Plusieurs experts jugent ainsi la mesure très insuffisante, à commencer par le cardiologue rennais François Carré, fer de lance de la cause depuis plusieurs années :
« 3 Français sur 4 après 65 ans sont traités pour une maladie chronique ! Ne pas inclure l’AP dans le parcours de soin d’un sujet porteur d’une telle maladie est une perte de chance pour lui. »
Plaidant pour une médecine préventive, il souligne également que l’espérance de vie en bonne santé en France atteignait 64 ans contre… 71 ans en Finlande, par exemple. Est évoquée, à ce sujet, une étude sur les Olympiens, menée par Juliana Antero-Jacquemin, chercheuse à l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance sur 2814 athlètes français ayant participé aux Jeux olympiques entre 1912 et 2012. Celle-ci montre que les athlètes disposaient de 7 ans de vie en plus par rapport à la moyenne, et qu’il était possible d’en gagner 3 ou 4 en marchant une heure par jour. « Sur ces 7 années de vie supplémentaires, environ 2 années sont gagnées grâce aux moindres risques de maladies cardiovasculaires, 2 autres grâce à la diminution du risque de cancers, et 3 autres grâce à la diminution du risque lié à d’autres causes », détaillait-elle.
Les dépenses de santé toujours en hausse
Depuis 2012 et la création du Sport sur ordonnance à Strasbourg, nombreux sont les territoires qui ont su s’emparer du sujet et développer des expérimentations locales. Des communautés de communes comme dans le Cantal, des associations comme à Marseille… En France, on n’a pas attendu un encadrement législatif pour proposer à des patients cette thérapie non-médicamenteuse, reconnue par la HAS dès 2011. Ce qui fait dire à Cédric Roussel, l’un des 3 députés (LREM, Alpes-maritimes) à l’origine de ce cycle de colloques :
« Aujourd’hui, les acteurs sur le terrain sont en avance sur les politiques. Il faut désormais que les politiques se mettent à leur rythme, simplement pour jouer son rôle de facilitateur. »
Cela passe par la formation des médecins, la structuration de l’existant, le gommage des inégalités territoriales notamment en termes d’accès aux dispositifs… et le financement.
Pour François Cormier-Bouligeon, député (LREM) du Cher, l’enjeu financier est tel que les ministères « ont la main qui tremble ». Les dépenses de santé augmentent chaque année. En septembre 2018, le rapport annuel sur les comptes de la santé, établi par la DREES(1), a montré « une progression historiquement basse », de 1,3 % en 2017 (contre 2,3 % en 2016), avec une CSBM (consommation de soins et de biens médicaux, englobant les hôpitaux, les médecins libéraux, les médicaments et le transport de malades) de 199,3 milliards d’euros. Des hausses s’expliquant par le vieillissement de la population et l’explosion des maladies chroniques, qui touchent aujourd’hui 20 millions de Français, dont 11 millions en ALD(2). Ce sont ces chiffres considérables qui inquiètent le gouvernement, notamment « le blockhaus de la rue de l’avenue Duquesne » tel que surnomme le ministère de la Santé Cédric Roussel, qui évoque la peur d’une « explosion des coûts, alors que l’on arrive lentement à un équilibre des comptes de la Sécurité sociale, qu’ils veulent garder sous contrôle ». Encore aujourd’hui, la perspective d’un important retour sur investissement ne convainc pas.
La question du financement en suspens
« On vous propose quelque chose qui permet au pré-diabétique de ne pas devenir diabétique, et vous continuez d’oublier ces économies dans vos calculs ! » peste François Carré dans l’amphithéâtre. Alexandre Feltz admet : « On a toutes les données économiques ; d’accord, pas forcément en France », tout en insinuant qu’il existe peu de raisons pour que ces données diffèrent fortement d’un pays à un autre. De nouvelles réponses sont attendues : en novembre 2017, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) s’était vu confier, par le ministère des Sports, un programme d’étude visant à mesurer l’impact économique sur les finances publiques de la promotion des activités physiques et sportives. Les résultats devraient être rendus publics courant juillet. Cela sera-t-il suffisant pour accélérer le mouvement ?
« Le gouvernement est réticent parce qu’on a peur de mal définir le périmètre de ce qu’on va rembourser, analyse François Cormier-Bouligeon. Est-ce qu’on va rembourser la prévention primaire ? Bien sûr que non. Mais est-ce qu’on s’en tient à la politique actuelle qui consiste à financer des expérimentations par le biais des budgets des ARS(3) ou est-ce qu’on fait une révolution culturelle, pour demander à l’Assurance maladie de commencer à rembourser les consultations de sport sur ordonnance et les séances d’Apa ? » Alexandre Feltz est « pour un cofinancement des réseaux de santé et un engagement égalitaire des ARS dans les fonds d’intervention régionaux », tandis que Jean Sibilia, président de la Confédération nationale des doyens de médecine, imagine un système où l’on piocherait, ici 1 % des droits télé de la Ligue des champions, là 1 € sur le prix d’un paquet de cigarettes.
Mais si seulement le financement était le seul problème… Valérie Fourneyron, au cours du tournage du documentaire Malades de sport, soulignait :
« Ce qui gêne, c’est que des patients avec les maladies les plus graves puissent être pris en charge par des non-soignants. »
De nombreux freins restent encore à lever, d’où une stratégie sport-santé trop peu ambitieuse. « Commençons par un certain nombre de pathologies (en l’occurrence, une seule, et de façon limitée), et mesurons les effets dans quelques années », propose Cédric Roussel. Des années, il en faudra au moins 30 pour faire de la médecine préventive une normalité.
(1) La Direction de la recherche, des études, de l'expérimentation et des statistiques, est une direction de l'administration centrale des ministères sanitaires et sociaux (ministères de l'économie et des finances ; des affaires sociales et de la santé ; du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social). Elle a pour mission de doter ses ministères de tutelle d'une meilleure capacité d'observation, d'expertise et d'évaluation sur leur action et sur leur environnement (définition donnée sur son site).
(2) Affections longue durée. Il s'agit de pathologies dont la gravité et/ou le caractère chronique nécessitent un traitement prolongé et une thérapeutique particulièrement coûteuse. Celles-ci sont prises en charge à 100 %, mais certaines ALD sont non exonérantes, si elles nécessitent une interruption de travail ou des soins continus d'une durée prévisible supérieure ou égale à 6 mois. Il en existe une trentaine.
(3) La loi de financement de la Sécurité sociale 2018 a introduit, dans son article 51, un dispositif permettant d'expérimenter de nouvelles organisations en santé reposant sur des modèles de financement inédits. En savoir plus ici.