Caen, jeudi 3 juin 2021
Diffusé le 27 mai dans Envoyé spécial, un reportage tente de démontrer que le vélo éléctrique n’est pas du sport et n’a pas d’impact sur la santé. Mais est-ce vraiment le cas ? Nous avons interrogé les chercheurs sur la question.
Sur son Vélib’ parisien, la célèbre Élise Lucet lance une enquête de la rédaction d’Envoyé Spécial, diffusée jeudi 27 mai 2021 en fin d’émission (en replay jusqu’au 26 juin 2021) :
“Pratique, écologique, bon pour la santé et même subventionné, le vélo électrique aurait toutes les vertus, mais est-ce vraiment le cas ?”
Ce sujet, mené à l’été 2020 par la journaliste Elvire Berahya-Lazarus pour le compte de la boîte de production Cat&Cie, a le mérite de nous faire découvrir les coulisses de la fabrication de ces vélos à assistance électrique (VAE), et de pointer ses failles. Comme le difficile recyclage des batteries polluantes ou encore les problèmes de subventions de ces vélos, où l’argent du contribuable parisien peut, par exemple, servir à payer des biclous pour les résidences secondaires.
Un aspect de cette “enquête”, nous a cependant largement déçu, à Malades de sport. Il s’agissait de montrer si oui ou non le VAE était bon pour la santé. Pour le savoir, la journaliste fait appel à un médecin du sport, dépêché sur l’anneau de Longchamps (Paris), là où les centaines de cyclistes tournent en rond chaque week-end sur 3,6 km. Elvire Berahya-Lazarus a décidé de mouiller le maillot en parcourant deux tours de l’anneau. Un premier avec un vélo mécanique. Un second avec un VAE branché sur l’assistance minimale. L’objectif, dans les deux cas, était d’aller à 22 km/h sur le parcours.
“C’est la promenade”
“C’est une expérience que m’a proposée Jean-Christophe Miniot, un médecin du sport qui a l’habitude d’encadrer des athlètes de haut niveau”, nous détaille la journaliste, qui a gentiment accepté de répondre à nos questions sur cette séquence. Le docteur prend alors le pouls au repos (60 bpm) et va comparer, à l’arrivée, les fréquences cardiaques. Dans le sujet, un tour avec un vélo mécanique lui fait atteindre 120 pulsations, alors que le vélo électrique soulève son cœur à 70 bpm. “C’est la promenade”, dit-elle en voit off du sujet, alors qu’on la voit siffloter sur son VAE. Conclusion du médecin du sport :
“Le gain pour la santé est très faible, car on ne sort pas de sa zone de confort […] À mon sens, ça n’est pas du sport.”
Pour enfoncer le clou, la journaliste conclut par ces mots : “Le vélo électrique bon pour la santé ? On repassera.”
Effectivement, c’est indéniable, le VAE n’est pas du sport. D’ailleurs, les vrais sportifs ne prennent que rarement des VAE pour préparer leurs courses. Si quelques épreuves de E-VTT existent bien, elles restent très confidentielles. C’est simple, le VAE n’a en fait jamais été destiné aux sportifs, alors pourquoi tenter de le démontrer ?
L’activité physique ? “Pas gardée au montage”
“J’entends souvent dire par ceux qui ont des VAE, qu’ils “font du sport”. Mais de mon point de vue, non, ce n’est pas du sport. Mon postulat de départ, c’était de dire que beaucoup de gens ont les capacités de rouler avec un vélo mécanique, et n’ont pas besoin d’un VAE pour aller chercher le pain”, nous explique Elvire Berahya-Lazarus. Problème, cet argument, qui peut s’entendre, n’est jamais évoqué dans le sujet.
Et si effectivement le VAE n’est pas du sport, il n’en demeure pas moins une activité physique qui permet d’atteindre le seuil des 30 minutes d’activité physique par jour recommandées par l’OMS et que plus de 50 % des Français ne respectent pas. Mais ça non plus, nous ne l’avons pas entendu dans le sujet.
“Le docteur Miniot nous a dit que le VAE, c’était quand même mieux que de prendre sa voiture. Mais ça n’a pas été gardé au montage, car il y a des limites de temps dans un reportage.”
[ POUR ALLER PLUS LOIN ] Jean-Luc Bosson : “Le vélo électrique permet d'amener les gens à pratiquer au quotidien”, Pourquoi docteur ?, 6 mai 2021
Le journaliste explique également être partie de sa vision du VAE pour bâtir cette démonstration : “Je suis un peu sportive, et j’ai déjà passé des vacances à vélo en VAE avec des amies. On a monté des cols très facilement, je n’étais même pas essoufflée. L’assistance aide vraiment beaucoup, mais il fallait trouver un moyen de mesurer à quel point”, développe-t-elle.
Un effort inférieur mais réalisé plus souvent
Pourquoi ne pas s’être penchée sur la littérature scientifique pour se faire une idées des bienfaits sur une population plus large ? “Parce qu’il n’y a pas d’études. En tout cas, avec le Dr Miniot, nous n’avons rien trouvé”, lance-t-elle. Si nous ne doutons pas de la bonne foi de la reportrice, il nous aura fallu 15 minutes pour trouver deux études (ici ou là) solides sur PubMed ou NCBI (des moteurs de recherche de données bibliographiques gratuits, dans le domaine de la médecine) et passé deux coups de téléphone pour avoir un chercheur français qui a déjà pu étudier l’impact du VAE sur des malades. Il connaît d’ailleurs bien les études internationales menées sur la population générale : la même que celle qui est visée par le reportage.
Le professeur Jean-Luc Bosson, chercheur en santé publique à l’université Grenoble-Alpes et au CNRS (Centre national de la recherche scientifique), évoque notamment une étude menée en entreprise : “Des essais en crossover ont été réalisés auprès des salariés, c’est-à-dire qu’ils ont utilisé un vélo mécanique pendant 15 jours, et un vélo électrique pendant 15 autres jours. Pendant ce temps, on mesure la courbe de la fréquence cardiaque. Ce que cela démontre, c’est que certes, en VAE, l’effort est 30 % inférieur, mais on l’utilise quatre fois plus souvent !”
Et c’est là que la pratique du vélo, même avec une assistance électrique, montre tout son intérêt. Pour observer des bienfaits sur la santé, nul besoin d’être un sportif de haut niveau, dont s’occupe notamment le Dr Miniot. Lui affirme que pour mesurer des bénéfices, il faut “sortir de sa zone de confort. Transpirer, mesurer des actions cardiovasculaire et musculaire suffisantes”. On ne pourra pas lui poser beaucoup plus de questions, puisqu’après nous avoir coupé la parole, il nous accusera de remettre en question son travail et nous parlera avec condescendance, de façon infantilisante et irrespectueuse (ce qui est, visiblement, également arrivé à certains de ses patients).
Objectif : la lutte contre l’inactivité physique
D’ailleurs un médecin du sport spécialiste du très haut niveau était-il le meilleur interlocuteur pour parler du VAE utilisé par un public à des années lumières de la grande performance ? En effet, il semble que ce monsieur oublie l’ensemble auquel appartient le sport : l’activité physique. Et c’est cette dernière qui est recommandée pour favoriser sa santé. Le Pr Bosson contredit :
“Avec un VAE, on ne parle pas d’entraînement, mais de lutte contre la sédentarité et l’inactivité physique.”
Pour rappel, l‘inactivité physique est un facteur de risque pour les maladies chroniques, et est ainsi la quatrième cause de principale de décès prématurés dans le monde, selon l’OMS. Rien que ça. Est-ce que, finalement, ça ne vaut pas le coup de prendre un VAE pour aller chercher son pain ?
[ POUR ALLER PLUS LOIN ] « Après quatre à cinq mois de vélo électrique, les utilisateurs voient leur capacité cardiorespiratoire améliorée », une chronique de Pascale Santi pour Le Monde du 6 janvier 2021 (abonnés).
C’est ce que souligne une étude de l’Onaps (Observatoire national de l’activité physique et de la sédentarité) menée tout récemment, sur une trentaine de personnes, toutes primo-accédantes – c’est-à-dire qui ne pratiquaient pas auparavant. Elles ont utilisé un VAE pendant trois mois, uniquement sur le trajet domicile-travail, avec mesure des capacités physiques (notamment force des membres inférieurs et endurance) avant et après l’utilisation. Présidente du comité scientifique de l’Onaps, Pr Martine Duclos souligne d’ailleurs que la fréquence cardiaque n’est pas forcément un bon indicateur de progrès :
“Les effets de l’AP ne passent pas par une augmentation de la fréquence cardiaque ; d’ailleurs, elle n’est pas linéaire avec les effets de la santé.”
Elle explique que c’est justement l’augmentation de la force et de l’endurance qui est “associée à une diminution de la mortalité et du risque de développer une maladie chronique”. Les participants de cette étude ont tous augmenté ces deux facteurs, simplement en utilisant un VAE pour leurs trajets. Et, soyons clairs, les utilisateurs de VAE font partie de ceux qui atteignent les recommandations en AP de l’OMS. “Pour ceux qui l’utilisent pour le trajet domicile-travail, cela correspond exactement, en termes de dépense énergétique et d’intensité, à ce qui est recommandé”, appuie celle qui est aussi cheffe du service de médecine du sport au CHU de Clermont-Ferrand.
Lever les blocages grâce au vélo à assistance électrique
Bien sûr, à condition de l’utiliser régulièrement, et pas seulement sur une boucle de 3,5 km. Le Pr Bosson revient sur une étude menée notamment par le chercheur Alexander Mok de l’université de Cambridge et publiée dans le British medical journal : “Menée sur environ 15 000 personnes, elle démontre qu’il y a un continuum ; que si vous n’étiez pas du tout actif, en faire un tout petit peu plus est un gain pour la santé. Bon pour la glycémie, le poids, le cholestérol et et beaucoup d’autres facteurs .”
Revenons au public ciblé – mais jamais mentionné – dans ce reportage : une population en bonne santé, capable de faire de l’activité physique. Autrement dit, selon la journaliste d’Envoyé Spécial, “ceux qui ont la sensation de faire du sport avec un VAE alors qu’ils sont en capacité de faire du vélo, et qui en achètent” par effet de mode, par “consumérisme”. Ce ne sont justement pas ceux-ci qui sont visés par les vélos à assistance électrique, mais ceux qui ne faisaient jamais d’activité physique et qui s’y remettent grâce à ça. Le Pr Bosson insiste :
“C’est terriblement réducteur et stupide comme raisonnement. C’est nier à quel point c’est complexe de changer le comportement des gens. Avant tout, il faut trouver quels sont les blocages, et les lever. Et on les lève grâce à de petites expériences positives à vélo électrique.”
Il illustre avec des patientes atteintes de cancer du sein passées par un centre de réhabilitation, dans lequel elles sont sorties en VAE deux fois par semaine pendant trois mois ; une expérience couplée avec des ateliers d’éducation à la santé. “La moitié de ces patientes n’avaient jamais quitté la cuvette de Grenoble. Avec ces sorties, on les a amené à progresser dans l’effort tout en les amenant à se resociabiliser, sans qu’il y ait d’échec car le VAE s’adapte à chaque individu.“
Et de conclure : “Le VAE, c’est un switch de la voiture, pas du vélo. Si je switche ma voiture pour un VAE, c’est définitif.” Il confie : “Mon rêve c’est que la ménagère de 50 ans lâche sa voiture contre un VAE et puisse prendre du plaisir avec.” Le rêve n’est peut-être pas inaccessible. Après l’étude du VAE sur les malades du cancer, les femmes n’ont pas voulu arrêter l’expérience et ont monté une association pour poursuivre les séances. “De toute ma carrière, je n’avais jamais vu ça.”
commentaires
Dans tous les cas, d’aller à vélo au travail ne peut être que bénéfique, même en vélo électrique ? j’ai trouvé cet article (lien site web), qui met cela en valeur. Vous approuvez ?
Bonjour,
Les sportifs sont parfois enfermés dans leur pratique et peine à se mettre à la place d’un sédentaire. Comme un chercheur à la pointe de son domaine peinerait à vulgariser ses recherches. Ou par condescendance, peut-être.
Le concept de “pédaler un peu pour aller mieux a été poussé à fond dans le projet de “Fitness Car” de Daniel Couque. Insuffisant cardiaque, il avait très peu de capacité d’effort. Ce véhicule lui permit de faire “juste ce qu’il faut” pour progresser, à effort constant. On peut voir cela sur : fitnesscar.free.fr/