Préambule : pour bien comprendre le concept de sport sur ordonnance, vous pouvez lire ou relire la loi et le décret qui ont permis sa mise en application en mars 2017. Partout en France, un généraliste peut prescrire du sport à la charge de son patient. Dans certaines villes comme Strasbourg, une grande partie des frais sont remboursés.
Strasbourg, vendredi 1er septembre 2017
Malades de Sport débute sa série de reportages sur le sport sur ordonnance. Dans le domaine, impossible de ne pas commencer par Strasbourg, qui dès 2012, a mis en place le Sport-santé sur ordonnance (SSSO) pour que les généralistes puissent prescrire de l’activité physique à leurs patients, le tout encadré par des professionnels. Un succès à l’américaine : parti de rien, le projet local a donné naissance à une loi nationale et propose désormais de bouleverser le rapport au médicament. Rien que ça.
Des sonnettes qui résonnent, des dérailleurs qui claquent. Des freins qui semblent parfois crier à l’agonie pour stopper la machine. Cette petite musique, on l’entend à toute heure sur le bord des routes strasbourgeoises. La capitale alsacienne vit au rythme de ces vélos qui abondent sur les pistes cyclables, en particulier le long de l’Ill, la rivière qui la traverse. Une passion pour la bicyclette qui lui vaut même le titre de première ville cyclable de France. Il suffit de marcher dans les ruelles pavées, de se promener sur les grandes places pour s’en rendre compte : la ville bouge en cadence.
Un dynamisme que l’on retrouve aussi dans le concept “Vitaboucle”, doté de plus de 100 km de chemins balisés et ponctués d’une vingtaine d’aires d’agrès. À Strasbourg, tout est fait pour simplifier l’accès au sport. En effet, 16 % des habitants se déplacent quotidiennement en deux-roues, à la force du jarret. Parmi eux, ils sont 100 à les utiliser grâce à la Compagnie des transports strasbourgeois (CTS), qui met à disposition autant de Vélhop (vélos en libre-service) aux bénéficiaires du Sport-santé sur ordonnance (SSSO).
À l’origine de ce dispositif, le Dr Alexandre Feltz, médecin généraliste et maire adjoint chargé de la santé publique et de l’environnement. “Cela faisait longtemps que je préconisais, comme beaucoup de mes confrères, de l’activité physique à mes patients. Mais peu s’y engageaient vraiment. Je me suis demandé pourquoi, et comme des études avaient montré que le sport était un médicament, j’ai proposé au maire que cela devienne une prescription”, raconte-t-il. Le lancement a été effectué en 2012 – c’est une première en France. D’autant plus que le système est financé en grande partie par la municipalité. D’autres organismes participent, comme l’Agence régionale de santé (ARS) et la Direction régionale et départementale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRDJSCS).
Mais aussi le Régime local d’assurance maladie d’Alsace-Moselle, réputé opulent. Un terreau favorable à l’implantation d’une telle mesure, alors unique en France. “C’est une complémentaire obligatoire : les salariés ont choisi de payer une cotisation supplémentaire (de 1,5 %, selon son site Internet) pour bénéficier de ce régime, qui complète jusqu’à 90 % les soins de ville et 100 % les soins hospitaliers, explique le Dr Pierre Tryleski, médecin généraliste. Il est géré à des coûts dérisoires par l’Assurance maladie et finance des actions de prévention.” Pour lutter, notamment, contre “deux pathologies graves qui touchent particulièrement l’Alsace et la Moselle : les cancers et les maladies cardiovasculaires”, précise le Régime local.
“La maladie rend pauvre et la pauvreté crée la maladie”
C’est aussi ce constat qui a décidé la mairie à placer le diabète, l’obésité et l’hypertension parmi les pathologies prises en charge. “On s’est aussi basé sur des études scientifiques qui montraient l’efficacité de l’activité physique sur ces maladies-là”, souligne le maire adjoint. Au total, six critères permettent d’entrer dans le dispositif : personnes atteintes d’obésité, de diabète de type 2, de maladies cardiovasculaires stabilisées ou du VIH personnes en rémission d’un cancer du sein ou du côlon ; et personnes âgées fragilisées. “D’autres pathologies, comme les problèmes respiratoires, pourraient aussi être prises en compte, mais cela demande plus de moyens, notamment pour les éducateurs”, regrette Alexandre Feltz. “Dans ce projet, les investissements ne sont pas suffisants par rapport à l’enjeu”, rétorque quant à lui le Dr Claude Bronner, médecin généraliste et président du syndicat Union généraliste (UG).
L’enjeu du SSSO est aussi social. “La maladie rend pauvre, et la pauvreté crée ou aggrave la maladie”, souligne le Dr Feltz. Selon lui, l’accès à la pratique physique est influencée par le secteur d’habitation et la catégorie socioprofessionnelle (CSP). Intégrer des publics très éloignés de l’activité physique, voilà le défi que s’est lancé la ville alsacienne.
Je travaille dans une cité où certains, jeunes, jouaient au foot à bon niveau. À un moment, ils se sont désinvestis ; maintenant, ils font du canapé. Ils ne se sentaient plus capables de reprendre, constate le Dr Tryleski. Quand t’es ouvrier, avachi, c’est difficile de se montrer. Avec le dispositif, ils ne sont pas avec des gens beaux, mais avec des gens qui leur ressemblent. Ce n’est pas un système où l’on se montre.
On est loin ici de l’esprit compétition des clubs sportifs classiques. “C’est une sensibilité particulière. Il faut faire preuve d’empathie, être à l’écoute des gens. Bref, il faut trouver l’angle”, analyse Joëlle Jolly, Éducatrice territoriale des activités physiques et sportives (Étaps) au sein de la “régie”, une équipe de six éducateurs de la Ville.
Pourtant, ça marche. Sur les 1 500 patients pris en charge depuis 2012, la moitié est issue des quartiers populaires de la ville. Un succès également dû à la gratuité du SSSO, la première année. Les deux années suivantes étant à la charge du patient (à hauteur de 20, 50 ou 100 euros), en fonction de son coefficient familial – on parle de “tarifs sociaux”. Bien sûr, il existe d’autres structures qui proposent des séances de sport adapté. Mais privées, c’est-à-dire que les frais restent entièrement à la charge des patients. “Je n’ai rien contre : si quelqu’un a les moyens financiers d’avoir un coach sportif privé, tant mieux. Mais nous, à la mairie, nous voulons de la cohésion sociale et de la diversité”, appuie le maire adjoint. “Que le dispositif permette d’accéder, de façon égalitaire, à quelque chose de bon pour la santé, je trouve ça franchement bien, renchérit le Dr Tryleski. Ça m’embêterait qu’il ne soit accessible qu’à des personnes qui peuvent se payer une mutuelle de luxe, à cause d’un problème de financement.”
Un vrai suivi médical ?
Tout repose donc sur le médecin traitant. Selon la Ville, ils seraient près de 350 à avoir adhéré à la charte “Sport-santé sur ordonnance” ou à avoir déjà rempli une telle ordonnance. “Du cinéma”, selon le Dr Claude Bronner, ancien élu de 1989 à 2012 qui regrette “toute la com” faite autour du projet. Très critique sur la forme, il fait néanmoins parti de ces médecins qui ont orienté des malades vers le SSSO. En général, après consultation avec son patient, le généraliste lui “remet une ordonnance, avec laquelle les patients peuvent rencontrer l’équipe municipale du sport-santé”, résume l’adjoint au maire.
C’est avec cette équipe que le bénéficiaire va être orienté vers une, voire deux activités (dans 50 % des cas) qui lui conviennent, en fonction de sa pathologie : une en régie, l’autre au sein d’une des 14 associations partenaires.
Joëlle Jolly souligne :
“Quand on fait 170 kg, on ne peut pas faire de la zumba… Mais si cette personne en rêve, alors on va l’accompagner pour que dans 3 ans, peut-être, elle puisse s’y mettre.”
En 2016, 21,8 % des patients étaient dirigés vers des activités aquatiques, presque autant vers des activités gymniques douces. Cette même année, la mairie proposait 52 séances pour 15 activités, et les associations 32 créneaux pour 17 disciplines.
“Après chaque rendez-vous, on envoie un mail au médecin traitant.” Il est indispensable que le binôme médecin-éducateur soit régulièrement en contact. Le généraliste qui a prescrit du sport sur ordonnance doit suivre son patient, un mois après l’inclusion, puis six mois plus tard pour leur faire faire de nouveaux tests physiques. “Les études disent que c’est au bout de 30 séances que l’on commence à voir des résultats”, affirme l’éducatrice territoriale. “Ça me rassure, je ne lâche pas quelqu’un dans la nature. Chaque patient dispose aussi d’un cahier de suivi qu’il peut ramener à chaque rendez-vous au cabinet”, assure le Dr Tryleski. Ce que dément le Dr Bronner : “J’ai eu un rendez-vous avec quatre collègues sur ce sujet : tous m’ont dit qu’ils n’avaient jamais eu le moindre suivi avec leurs patients.”
“C’est beaucoup de cinéma…”
Pour le président du syndicat UG, la mesure est d’ailleurs inutile. Il fustige d’une part l’aspect administratif du dispositif, qui nécessite, selon lui, de signer une charte pour pouvoir délivrer une ordonnance. “Et moi, signer des papiers pour faire mon boulot, ce n’est pas possible.” D’autant qu’il affirme, d’autre part, que cela faisait déjà partie de son travail que de proposer de l’activité physique.
Mes patients, j’en parle avec eux, je les incite à aller à la piscine, à se déplacer à vélo… Quel besoin de les renvoyer vers un animateur ? C’est beaucoup de cinéma pour quelque chose qui est, finalement, très naturel. Le conseil suffit.
Yannick Schmitt n’a pas non plus dans ses habitudes de faire des ordonnances sportives. Installé à Lingolsheim, dans la banlieue strasbourgeoise, il ne sait tout bonnement pas vers qui envoyer ses patients, étant donné que l’action du SSSO s’arrête aux frontières de la capitale alsacienne. “On manque d’un réseau. Mais moi, je dévie le problème. Déjà, je prête des podomètres : mes patients se prennent au jeu et se forcent à aller marcher. Ensuite, j’ai fait ouvrir, début septembre, un créneau pour les diabétiques au centre social L’Albatros, tout près de mon cabinet. Il n’a pas le label sport-santé, mais il cible le même public.”
[ POUR ALLER PLUS LOIN ] Sport sur ordonnance : "têtes d'affiche et têtes de lard", (mercredi 11 octobre 2017)
Pour le Dr Tryleski, président départemental de MG France, le sport est simplement devenu un nouvel outil de travail, au même titre que le Paracétamol. “Il est inscrit dans mon logiciel. Désormais, ce n’est plus un simple conseil, non suivi d’effets.” Le sport, prescrit, entre dans le domaine du curatif, dans un pays où les médecins ne sont ni formés ni payés pour des actes préventifs. “Le patient qui vient me voir et qui ressort sans ordonnance, il n’est pas content”. Une question de génération chez les praticiens ?
Le Dr Schmitt, vice-président des Généralistes jeunes installés et remplaçants (ReAGJIR), glisse :
“Spontanément, le jeune médecin choisira le non-médicamenteux. Même si la prévention, l’éducation thérapeutique, cela prend plus de temps.”
Beaucoup de médecins semblent d’ailleurs penser que la prévention est indispensable. “C’est dommage qu’il faille attendre d’être malade pour bénéficier du sport-santé”, regrette le Dr Bronner. Ouvrir le SSSO à tous : telle est désormais l’ambition d’Alexandre Feltz. “Nous sommes aujourd’hui dans une logique pharmaceutique qu’il faut inverser. Demain si tout va bien, votre médecin vous posera 2 ou 3 questions pour voir si vous êtes sédentaires. Et si vous l’êtes, il vous prescrira de l’activité physique.”
L’adjoint, qui a déjà ouvert à Strasbourg le dispositif aux seniors sans pathologies – dans le cadre d’un plan de prévention des chutes – parle de son idée dans les plus hautes sphères de l’État. Et à l’en croire, le projet fait son chemin.
“L’idéal serait un forfait : vous allez voir votre médecin et la Sécu vous donne un bon d’activité physique. On aurait un développement très rapide en France. Cette vision du sport-santé, je veux que le plus grand nombre puisse y accéder. C’est ce que je propose au gouvernement.”
Point de blocage, et pas des moindres, la question du financement. Pas de quoi effrayer l’élu : “C’est toujours compliqué ce type de projets car c’est très novateur.” C’est sûr, Strasbourg a une sacrée avance dans le domaine. Quelques villes essaient aujourd’hui de l’imiter, mais le modèle reste dépendant de la volonté des municipalités à le financer. Espérons que le reste du pays arrive à suivre.