Lou Langlais a 17 ans. Elle en avait 15 lorsqu’on lui a diagnostiqué un lymphome diffus à grandes cellules B. En rémission depuis le printemps 2017, elle a repris sa scolarité : elle passe en Terminale et vient de présenter son bac de Français. Fabien Malo, âgé de 42 ans, a débuté les traitements pour son lymphome hodgkinien en février de cette année. Il doit les terminer… ce mois de juillet, par une autogreffe. Ces deux Normands ont accepté de raconter leur rapport au sport pendant la maladie, dans une interview croisée.
Quels sportifs étiez-vous avant la maladie ?
Lou : Je faisais de l’Éducation physique et sportive (EPS) au lycée et je dansais 3 heures par semaine. J’ai commencé la danse très tôt, à l’âge de 4 ans, et j’avais essayé l’équitation pendant un moment, mais ça ne me plaisait pas. Même si je suis assez investie pour la danse, notamment avec mes deux entraînements hebdomadaires, je ne me considère pas comme une grande sportive : je fais d’ailleurs plus de sport depuis que j’ai été malade !
Fabien : Le sport fait partie de ma vie, je ne la conçois pas sans. Depuis que j’ai commencé à pratiquer, je n’ai fait qu’augmenter mon volume horaire d’années en années : plus jeune, j’ai joué au basket, puis je me suis mis à la planche à voile avec des cousins et des amis… Depuis 10 ans, à mon arrivée en Normandie, je me dépensais au moins 5 heures par semaine ; et quand je préparais certaines compétitions, je pouvais monter jusqu’à 10 heures, voire plus. Je nage, je fais du vélo et je cours — les disciplines du triathlète. Ces dernières années, j’ai participé aussi à plusieurs “swimrun” (une discipline qui allie course à pied et nage en eau libre) et à des ultra-trails. C’est amusant parce que jeune, je n’aimais pas particulièrement courir. Cela m’est venu avec l’âge et, surtout, la région : le trail, c’est génial, ici ! Mon maximum ? Une course de 100 km en autonomie sur la côte ouest de la Manche, appelée “La Barjo”. C’est d’ailleurs aussi le surnom qu’on me donne au boulot ! En fait, je suis un homme de défis. Mais attention : des défis pour lesquels je suis préparé.
Comment s’est déroulée votre “rencontre” avec le lymphome ?
Lou : J’avais du mal à respirer et des quintes de toux, qui ne sont pas passées avec le temps. Et puis, toutes les informations nous sont tombées dessus en 3 semaines. J’ai été traitée en 6 mois de chimiothérapie, sans autres traitements – mais de la chimiothérapie à haute dose ! Aujourd’hui, je suis surveillée tous les 3 mois grâce à des scanners et des prises de sang. Je suis en rémission partielle — il reste le “squelette” de la tumeur — depuis un an.
Fabien : J’avais une fatigue anormale. Je la mettais sur le compte de mon travail et du sport intensif, même après plusieurs jours de repos ou des semaines de coupure, j’étais toujours plus fatigué. Et puis, j’ai commencé à avoir des douleurs abdominales, que j’imputais aussi à mon activité. L’année dernière, je suis allé voir mon médecin pour lui parler des dérangements gastriques et de constipations, mais rien n’a changé malgré deux traitements médicamenteux. Donc il m’a fait passer un scanner et c’est là qu’on a découvert le cancer. Je n’ai pas de tumeur mais des ganglions. Très développés au niveau des intestins, ils touchent aussi ma rate – qui était énorme -, mon foie et la moelle osseuse ; c’est pour cela que je suis en stade 4 selon la biopsie.
Comment se déroulaient ou se déroulent vos traitements ?
Lou : J’étais hospitalisée 6 jours d’affilée, avec 2 à 3 poches de chimio par jour. Mes séjours à l’hôpital étaient espacés de 15 à 21 jours, mais je tombais systématiquement en aplasie… Donc je repartais en chambre d’isolement, pour 7 à 10 jours, à peine rentrée à la maison ! Je n’y ai échappé qu’à la dernière cure.
Fabien : J’ai eu 6 cures de chimiothérapie suivies d’une autogreffe, réalisée pendant un séjour de 3 semaines à l’hôpital.
Rester actif pendant ses traitements, était-ce une priorité pour vous ?
Lou : Je n’ai même pas posé la question parce qu’on m’a dit d’emblée que je n’allais pas pouvoir continuer la danse, parce que j’allais avoir l’interdiction d’aller dans des lieux publics. Arrêter a été très dur. Mais je me suis rendu compte que même pour les cours, c’était trop difficile : je n’arrivais pas à me concentrer plus de 10 minutes. Une fois, j’ai fait un cours de physique à domicile ; tout de suite après, j’ai eu de la fièvre et hop ! Direction l’isolement. Pendant les traitements, je n’arrivais pas à faire du sport, et je n’en avais pas vraiment envie non plus. J’ai commencé pendant les 2 dernières cures de chimio, parce que les infirmières m’ont dit que faire du vélo pouvait aider mes globules blancs à remonter. C’est surtout après le traitement que j’ai commencé, avec un coach d’activité physique adaptée, Vincent Roche, qui donnait des séances dans le service pédiatrique et qui m’a proposé la visioconférence avec l’association V@asi, et Ghislain Quai, un des coachs. Je faisais 2 cours d’une heure et demie, un en cardio et l’autre en renforcement musculaire. J’ai tenu ce rythme pendant tout l’été, ce qui m’a permis de me redonner une condition physique pour la reprise de la danse à la rentrée de septembre. C’était mon objectif.
Fabien : Je me suis écroulé quand j’ai appris ma maladie. Deux choses m’ont fait du mal : l’aspect familial d’abord, forcément (je suis père de 2 enfants), et l’arrêt de la natation un nid à bactéries. Nager, c’est la base, pour moi – je dois être à moitié poisson ! Quant aux autres sports, j’ai manqué un peu de réponses. J’avais peur parce que je n’aime pas beaucoup rester en place, mais là, la maladie m’a calmé d’elle-même. À l’hôpital, mon hématologue et les infirmières m’ont fait comprendre que ce serait bien que je garde une activité physique, mais je me posais surtout la question de la limite à ne pas dépasser. Je me suis dit que j’allais redémarrer doucement. Depuis le temps que je fais du sport, je connais mon corps. Et mes amis sont venus avec moi, j’étais rarement seul, c’était rassurant. Avec le recul, je ne me pose plus cette question : je pense qu’il faut être actif, et qu’on peut l’être. Mais j’ai eu des doutes au début – il faut apprendre à s’écouter.
Avez-vous eu besoin de conseils pour commencer à pratiquer ?
Lou : Sans la structure V@si, je n’aurais certainement pas été aussi active, peut-être car je ne m’en serais pas sentie capable. Toute seule, je ne repousse pas mes limites. Mais si on me motive… Je me suis rendu compte que j’y arrivais, et j’étais contente à chaque fin de séance !
Fabien : Ce ne sont pas tellement de conseils dont j’ai besoin, mais de retours. J’aimerais savoir si la façon dont je pratique est bonne ou non. Mon tep scan de mi-parcours était, a priori, plutôt bon, mais je me demande : est-ce que je me fais du mal en faisant du sport ? Moi, j’y trouve énormément de bienfaits : c’est régénérateur. Car globalement, les traitements nous assomment. On peut très facilement se laisser aller dans le canapé – même si, je l’avoue, j’ai effectivement pris un abonnement Netflix ! – Mais en se forçant à sortir et pratiquer une activité physique, quelque part, on relance la machine, et on se sent toujours mieux après. Bien sûr que quand je rentre, parfois, je suis rincé, mais c’est une bonne fatigue, c’est mieux que d’être dans le gaz avec un mal de tête devant une série.
Lou : On n’est pas fatigué « faible ».
Fabien : Bien sûr, c’est toujours difficile au départ. Peut-être que le fait d’être encadré peut aider les gens à faire du sport. Mais les médecins, ça n’a pas l’air de trop les intéresser. J’essaie de leur en parler un peu, ils me disent que oui, c’est bien, mais je ne peux jamais en savoir plus.
Lou : Les médecins, ils sont là pour traiter la maladie, ils ne pensent qu’au protocole de soins. Le sport n’est pas leur priorité.
Fabien : Je me pose les mêmes questions au niveau alimentaire. Avec la maladie, combinée à une infection nosocomiale, j’ai perdu beaucoup de poids (8 kg). J’en ai repris 9. Je me suis mis à suivre une alimentation cétogène (c’est-à-dire privilégier les graisses et les protéines et limiter les glucides, notamment le sucre, qui alimentent les cellules cancéreuses). Je pratique également un jeûne thérapeutique pour limiter les effets secondaires de la chimiothérapie liés à l’alimentation (nausées, vomissements…) : je rentre en jeûne 48 heures avant la chimio (je mange des soupes) et j’en sors 24 heures après. Cela me permet aussi de garder de l’appétit. Je fais tout cela pour donner toutes les chances à mon traitement, mais j’aimerais savoir si je fais les bons choix ou pas.
Comment réagissent vos proches à votre pratique sportive ?
Lou : Ce sont mes parents qui m’ont poussée, clairement ! Même quand j’avais mon coach, ils étaient encore derrière moi pour me rappeler de faire du sport. Ils ne m’ont jamais dit de me calmer, au contraire, ils m’ont beaucoup encouragée. Et quand j’ai repris la danse, pareil. Personne ne m’a jamais dit de me reposer, le discours sur l’activité physique a toujours été positif.
Fabien : Pour moi, ça a été tout l’inverse ! Même si, le jour de ma première chimio, on m’a proposé de rencontrer une association pour m’aider à garder une activité physique. J’ai repris le sport après mon infection nosocomiale, et je me suis vite aperçu que j’arrivais à courir 5, puis 10 km à pied. C’est là qu’on a commencé à me dire : “Il va falloir y aller doucement.” Ma femme, Séverine, est assez inquiète : elle me connaît, elle sait que je ne suis pas raisonnable en temps normal. Elle a peur de plusieurs choses : d’abord, que j’y aille tout seul, ensuite, que je me mette dans un état de fatigue important. J’ai l’habitude : on m’a toujours dit d’y aller doucement. Mais je fonctionne à la sensation et, depuis que je suis malade, je suis plus à l’écoute de moi-même. Je connais bien mes limites. Aujourd’hui, toute ma famille me freine parce qu’elle sait de quoi je suis capable en temps normal.
Avez-vous ressenti un impact sur les effets secondaires de la maladie ?
Lou : J’ai commencé l’activité physique à mon avant-dernière cure, et je n’ai pas fait d’aplasie fébrile lors de ma dernière cure… contrairement à toutes les précédentes. Je ne sais pas s’il y a un lien, mais on pourrait le croire. Peut-être que ça m’a permis de renforcer mon corps.
Fabien : J’ai fait du sport dès le début, donc je n’ai pas de moyen de comparaison. Je remarque simplement que, par rapport à la liste d’effets secondaires dont on nous parle, je n’en subis que très peu : je n’ai pas de fourmillements au bout des doigts, pas de douleurs articulaires, j’ai très peu de nausées – seulement juste après la chimio, mais c’est peut-être aussi grâce au jeûne thérapeutique. En rentrant de chimio, je fais une sieste puis je pars marcher quelques kilomètres. Et je constate que ma nuit est bien meilleure que lorsque j’étais hospitalisé plus tard et que je ne pouvais pas marcher. J’ai l’impression que le fait de bouger accélère le processus de libération des toxines.
La forme revient-elle ?
Lou : Au niveau cardio, ça a été un peu dur, mais au niveau musculaire, mes muscles ont été bien stimulés grâce aux exercices que j’ai réalisés avec Vincent Roche. Suffisamment, en tout cas, pour reprendre la danse – je ne me suis pas sentie handicapée. Peut-être les deux premiers mois, mais j’ai vite vu qu’on en bavait tous ! Je me suis dit : “En fait, ce n’est pas moi, c’est le cours qui est difficile.” Et ça faisait du bien ! J’avais peur de ne pas retrouver ma forme d’avant, de ne pas retrouver une vie normale. J’ai beaucoup douté à la fin des traitements. Mais en fait, il suffit de bosser ! Au niveau cognitif, j’oublie souvent des choses, je dois vraiment me concentrer pour me souvenir de tout. Et je mets plus de temps à récupérer, mais ce n’est pas handicapant. Au final, je ne regrette même pas d’avoir dû redoubler ma 1re S : je suis tombée dans une meilleure classe, je me suis fait un nouveau cercle d’amis, des gens qui ne m’ont pas connue pendant la maladie et qui, du coup, ne m’en parlent pas.
Fabien : Je ne progresse pas du tout, mais d’un point de vue sportif, je ne le regrette pas. Ce qui m’affecte le plus pendant les traitements, c’est la perte de souffle. Musculairement, je me sens capable, mais mes globules rouges sont bas et j’ai le souffle court. C’est comme si mon moteur était bridé. Mais je suis très content de réussir à faire ce que je fais car au début, mon appréhension n’était pas de savoir si j’allais pouvoir atteindre une performance malgré la maladie, mais seulement si j’allais pouvoir continuer. Et j’y arrive, à vivre le plus normalement possible. C’est une satisfaction.
La maladie a-t-elle changé quelque chose en vous ?
Lou : J’avais acheté une perruque. Mais j’avais trop chaud quand je la mettais et elle me piquait. Alors j’ai arrêté de la mettre et ça m’a rendue fière ! J’assumais ma maladie : oui, j’ai eu un cancer, mais je suis bien là. Aujourd’hui, je profite beaucoup plus de la vie, je ne me prends plus la tête, je m’énerve très rarement, je relativise. Mes amis, s’ils ont envie de se prendre la tête, ils se la prennent tous seuls ! Je n’étais pas du genre à me plaindre, mais je me plains encore moins. Je profite de chaque moment, plus intensément. J’avais 15 ans quand on m’a diagnostiqué mon lymphome, ça m’a forcément fait mûrir plus vite et m’a permis de porter un autre regard sur la vie quotidienne. Pour autant, je n’ai pas l’impression qu’on m’ait volé ma jeunesse. Je rattrape le temps, et je le rattrape bien. La vie est un peu plus belle après les traitements. Aujourd’hui, je communique aussi beaucoup avec des jeunes atteints de cancer, qui sont venus vers moi grâce à une page Facebook de soutien qu’avaient créée mes parents. (NDRL : Nique le cancer)
Fabien : C’est difficile de dire si la maladie me change aujourd’hui, alors que je suis encore en traitement. Ce qui change dans ma vie, c’est que je suis tous les jours chez moi. Je sens toutefois déjà que j’apprends à positiver au quotidien, à ne pas me morfondre. La maladie est là, il faut l’accepter. Si aujourd’hui je la vis bien, c’est parce que je l’accepte. J’ai rencontré au cours d’une chimiothérapie un homme d’une vingtaine d’années qui, lui, ne l’acceptait pas du tout : il n’avait rien changé à son rythme de vie, il avait continué de faire la fête avec ses copains, et les traitements étaient, du fait, très durs à supporter. Moi, j’ai le sentiment de mettre toutes les chances de mon côté et que ça peut payer.
Pensez que l’accompagnement par l’activité physique devrait être généralisé aux malades de lymphomes ?
Lou : Il faut le proposer à tous les patients, et l’adapter en fonction des limitations de chacun. Mais encore aujourd’hui, ce sont surtout les personnels soignants jeunes qui en parlent, moins les médecins, parce qu’ils s’intéressent surtout aux traitements médicamenteux de la maladie. Pour moi, c’était important d’être encadrée, car j’avais le sentiment de ne plus être capable de rien. Et je pense que la plupart des patients ont besoin d’être poussés, motivés. En plus, j’étais tout le temps malade, j’avais beaucoup d’effets secondaires, notamment des nausées : je n’avais pas envie d’en faire, mais je reconnais que ça m’aurait peut-être aidé.
Fabien : Ce serait effectivement bien de proposer des petites choses, comme une randonnée de 2 ou 3 km, avec un groupe pour ceux qui se sentent moins bien pour aller à leur rythme. Moi, je considère que j’ai de la chance parce que j’arrive à pratiquer beaucoup et tout seul, parce que j’ai un passif de sportif. Mais d’autres personnes se sentiraient beaucoup mieux si on les accompagnait et si on les aidait à faire l’effort de sortir. Si on arrive à avoir suffisamment de force d’esprit ou si on est bien accompagné pour pousser la machine, elle va redémarrer. Malgré tout, on ne peut pas généraliser : comme pour le protocole de soins, chaque cas est particulier, et je ne peux pas conseiller à d’autres de faire exactement comme moi. Après tout, est-ce que moi, ça m’aide dans le traitement ? Je n’en sais rien. Mais j’y crois : peut-être faudrait-il faire un mois de préparation physique avant de commencer le protocole pour être bien préparé à recevoir la chimiothérapie… Je me rends compte que j’assume ma maladie, parce que je me sens en forme, parce que j’ai confiance en moi. C’est ça que j’aimerais partager.
Un témoignage tiré de notre dossier “Activité physique et lymphome” paru dans le magazine de France Lymphome espoir en juillet 2018.