Rouen, vendredi 6 avril 2018
Ministre des Sports, de la Jeunesse, de l’Éducation populaire et de la Vie associative sous François Hollande, de mai 2012 à mars 2014, la Rouennaise Valérie Fourneyron est à l’origine du dispositif de sport sur ordonnance. Celle qui est désormais à la tête de l’Agence de contrôle internationale (organe de l’Agence mondiale antidopage) revient sur l’élaboration de la loi de janvier 2016 et insiste sur la formation des médecins dans les améliorations à apporter.
Qu’est-ce qui vous a conduit à porter la prescription d’activité physique, au sein de la loi de modernisation de notre système de santé ?
Je suis médecin du sport : je me suis toujours occupée du haut niveau comme du loisir. Par ailleurs, je connaissais les ravages de la sédentarité ainsi que les études sur les bienfaits de l’activité physique. Et je me posais la question : quand va-t-on traduire ces réalités dans les actes ? Pour moi, les initiatives de terrain ont été motrices : les associations comme la Cami ou Siel bleu, les formations sport & cancer, les villes qui développaient des dispositifs… Ces initiatives montraient qu’il existait une place pour cette thérapie non-médicamenteuse. Et la loi est partie de là : du territoire.
Comment cette idée d’activité physique en tant que thérapie a-t-elle été reçue par la société ?
Notre pays a toujours eu une politique de soin ; on n’a pas l’habitude de penser que l’on peut être pris en charge différemment qu’avec des thérapies médicamenteuses lourdes. C’est la première fois, dans l’Hexagone, qu’on a ce discours d’efficacité à propos de l’activité physique. Les scientifiques le disaient, plusieurs pays l’avaient déjà inscrite dans le parcours de soin… Nous, nous n’avions pas culturellement franchi le cap. Et le débat parlementaire a montré que certains étaient encore dans la caricature. On nous disait : “Les sportifs, allez donc jouer avec un ballon.”
C’est révolutionnaire, pour le secteur, d’intégrer de l’Apa dans le traitement de maladies graves.
Justement, en quoi l’activité physique est-elle si importante dans le traitement de ces maladies ?
Aujourd’hui, on compte quand même plus de 10 millions de personnes en ALD (en premier lieu les maladies cardiovasculaires puis les cancers, le diabète de type II et les maladies mentales). Et selon l’OMS, la première cause de mortalité évitable, c’est la sédentarité. En Europe, celle-ci coûte 80 milliards d’euros par an. C’était du bon sens de se demander pourquoi on n’avait pas encore inscrit l’activité physique dans leur parcours de soin : la politique de santé publique se devait de répondre à cette lutte contre la sédentarité, qui nous coûte si cher, tant sur le plan humain que sur le plan financier.
Comment s’est déroulé l’élaboration de cette loi ?
En octobre 2012, nous avons fait une communication commune en Conseil des ministres, la ministre de la Santé, Marisol Touraine, et moi-même, en proposant de développer la place du sport dans notre politique de santé. C’était une première à ce niveau. Nous voulions fixer un cadre national à la promotion de l’activité physique. Il y avait la volonté d’avancer sur le sport sur ordonnance, mais aussi de faciliter l’accès au sport pour tous, aussi chez les scolaires. Nous voulions notamment passer du certificat médical de non contre-indication à la pratique du sport au certificat d’indication. Car le sport est indiqué pour tous ; il doit seulement être adapté à l’âge, à la maladie, au handicap…
[ POUR ALLER PLUS LOIN ] Les nouvelles règles pour le certificat médical, par la rédaction d'Allodocteurs.fr (2 septembre 2016)
Y a-t-il eu des blocages dans les débats parlementaires ?
La loi n’a pas été facile à faire passer : il y a eu des allers et retours entre le Sénat et l’Assemblée. Nous n’avions pas eu le soutien du gouvernement en première lecture, il a fallu batailler. Très vite, j’ai compris que je ne pourrais pas aller sur tous les fronts de la prévention. Je suis restée sur la prévention tertiaire, avec les patients porteurs d’une maladie prise en charge à 100 %. Il y a eu beaucoup de caricatures. On me disait : “Donner un ballon aux malades, vous n’y pensez pas, madame Fourneyron !”
Pour un certain nombre, le ministère des Sports remet simplement des médailles et commente l’actualité sportive, alors qu’il a un vrai rôle dans les politiques publiques, comme l’accès au sport pour tous, l’éducation, les politiques de lutte contre les discriminations, de mobilité et donc, bien sûr, de santé.
Ce qui m’a beaucoup aidée, c’était de pouvoir m’appuyer sur mon parcours scientifique avec mon bagage de médecin du sport. Il y avait une inquiétude du gouvernement, sans doute portée par les caisses d’assurance maladie qui demandaient combien ça allait leur coûter. Dans le monde politique, on veut un résultat immédiat. En France, on est bien soigné, mais la prévention est le parent pauvre de notre politique. Donc investir dans la prévention, c’est difficile. Il y avait aussi un débat sur le mot “sport”. Pour beaucoup, le sport, c’est la compétition. En termes de communication, c’est plus facile, mais il faut plutôt parler d’activité physique adaptée.
Avec le recul, comment jugez-vous cette loi ?
Je le dis en toute humilité, cette loi nous a fait franchir un pas décisif. Maintenant, il faut saisir tous les maillons de la chaîne pour l’améliorer : la formation des médecins, l’information des patients, aider les médecins à trouver les bons professionnels pour orienter les patients, assurer un financement pérenne… Il faut également un suivi de la prescription dans le temps, car il est nécessaire pour le patient de poursuivre une activité physique après le tremplin du sport sur ordonnance. Tout le monde a un rôle à jouer.
Le monde du sport aussi ?
Je suis certaine que oui. Le haut niveau, c’est le dépassement de soi, quelles que soient ses capacités. La performance existe aussi dans le handisport. Dans les clubs, il y a des passerelles à faire entre les différents publics ; la première fois que les clubs ont accueilli des athlètes handisports, par exemple, il y a eu des échanges de savoir entre eux et les athlètes valides. Il faut donner des moyens au handisport, comme au sport adapté.
Laura Flessel parle de “stratégie nationale de sport santé”, qui comprend notamment une augmentation des personnes prises en charge par l’activité physique, peut-être même pour des patients hors-ALD. Quels regards portez-vous sur ces projets ?
Je pense que tout cela va plutôt dans le bon sens. Il faudra cependant des moyens, et pour l’instant, on ne les voit pas et c’est même l’inverse ! D’abord, je pense que les JO 2024 seront formidables pour laisser un héritage. Un héritage matériel, avec les investissements qui seront faits, équipement sportifs et infrastructures de transport, mais aussi un héritage immatériel.
Si, en 2024, on ne laisse pas une trace qui marque l’importance de l’activité physique, nous aurons tous échoué.
Il faut donc que les ministères collaborent sur ce sujet. Ensuite, on entend parler de maisons du sport santé. Est-ce que l’on va intégrer des kinés, des éducateurs Apas dans ces maisons, pour lutter aussi contre les déserts médicaux ? Je ne sais pas vraiment. On entend des choses, mais j’attends du concret.
L’un des reproches régulièrement fait à propos de cette loi est le non-remboursement de la prescription…
Je fais partie des gens qui pensent que le débat n’est pas bien posé quand on dit que c’est à la Sécurité sociale de prendre en charge le dispositif. Elle prend en charge des actes effectués par des soignants ; c’est de la cotation. Or, la révolution de cet article de loi de modernisation de la santé, c’est que les patients peuvent être pris en charge par des personnes qui ne relèvent pas du code de la santé : les éducateurs Apas relèvent du code de l’enseignement supérieur, les éducateurs sportifs relèvent du code du sport. Cela ne veut pas dire qu’il ne doit pas y avoir de prise en charge collective, mais cela ne peut pas être remboursé comme un acte de soignant.
On voit des financements publics se mobiliser : les Agences régionales de santé (ARS), les Directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRDJSCS), le Centre national pour le développement du sport (CNDS) – dont les crédits se sont effondrés, ce qui est inquiétant. Des mutuelles s’y mettent également, des associations de patients, des collectivités… Il faut trouver un modèle, pas complètement figé, qui puisse régler le problème des freins à l’accès à la prescription.
Car c’est bien un acte de prescription qui, lui, doit être pris en charge par la Sécurité sociale ; comme toute prescription, il y a un début et une fin. Après, il faut que les patients continuent dans le droit commun.
Pour cela, ils peuvent trouver un club, dans lequel ils vont devoir payer une licence. Il faut aussi que ces clubs s’organisent pour accueillir ces nouveaux publics, qui ne vont pas rapporter de médailles. Cela veut dire former les éducateurs, trouver des créneaux horaires adaptés, et rassurer les gens sur leur capacité à les accueillir.
Quelles sont les prochaines étapes pour améliorer la loi ?
Après la loi, la publication de décrets et arrêtés a permis de préciser qui peut prendre en charge les patients, avec quelle qualification. Maintenant, les médecins doivent apprendre à prescrire. C’est pourquoi il faut mieux les former dans leur parcours. On franchirait une grande étape, avec des questions lors de l’internat, dans chaque spécialité, sur l’activité physique. Il faut également les rassurer, en leur indiquant vers qui ils peuvent orienter les patients. C’est essentiel pour que le réseau fonctionne. Derrière, il faut sécuriser le financement de la prescription.
La Haute autorité de santé doit également publier des référentiels en fonction des maladies. On a besoin que les ARS et les DRDJSCS fassent vivre leurs sites Internet pour guider médecins et patients. Il y a bien le “Médicosport-santé” pour les médecins, mais ils n’ont pas le temps de tout lire. L’information doit être facilement disponible. C’est le rôle de l’État de recenser les acteurs sur le terrain, avec leurs compétences et leurs formations.
[ POUR ALLER PLUS LOIN ] Le Médicosport-santé est un dictionnaire à visée médicales des disciplines sportives, présenté le 9 décembre 2015 et créé par la commission médicale du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) avec la Société française de médecine, de l'exercice et du sport (SFMES). >> Consultez-le ici ! <<
Avez-vous encore vous-même un rôle à jouer ?
Quand la ministre des Sports m’a invitée à parler du combat qui a été le nôtre, je me suis rendue avec plaisir à l’invitation. Comme toujours, ce sont des combats qu’il ne faut pas lâcher. En ce moment, il ne faut pas passer à côté de l’information et de la formation des médecins, sinon ce sera un élément de faiblesse du dispositif. Il faut être présent à chaque niveau, que tous les ministères s’y mettent. Ce n’est faire injure à personne que de dire que dans un gouvernement, le ministère des Sports n’a pas le même poids que celui de la Santé. Tout le monde doit travailler ensemble. Les collectivités territoriales se sont beaucoup investies, mais elles ont aussi des priorités. Si elles ont moins de moyens, elle choisiront peut-être d’autres services publics.