Caen, mardi 21 novembre 2017
On appelle ça l’effet Kisscool. Acte I : quand on a un cancer, on hésite toujours à sortir voir des amis ou des inconnus. Pour une raison simple, on est à peu près sûr de ne pas échapper à la question : “Et toi, tu fais quoi dans la vie ?” Une question gênante que l’on apprend vite à expédier avec l’expérience. Acte II : quand on est en rémission et que le contrat de travail s’est terminé pendant l’arrêt maladie, on passe par la case chômage. Aussi étrange que cela puisse paraître, le mot “cancer” ou “chômage” fait pratiquement le même effet sur le visage de ses interlocuteurs : celui d’une maladie contagieuse qu’il ne faut pas attraper. C’est un peu ça, l’effet Kisscool.
Ça tombe mal, nous sommes tous les deux au chômage. De quoi percevoir bon nombre de grimaces. La famille s’en inquiète et certains amis s’y mettent aussi. Si bien qu’avant même de parler du contenu de Malades de sport, la première question ressemble à : “Mais… vous arrivez à en vivre, de votre site ?” Peut-être même que vous vous êtes posé cette question, vous qui lisez ?
La réponse est sans ambiguïté : non, nous ne tirons aucun bénéfice de notre activité d’information.
Les grands quotidiens nationaux peinent déjà à faire de l’argent sur le net, alors il nous serait difficile de vendre des contenus payants, ou de proposer de la publicité sur un site qui n’a pas l’âge d’un whisky correct.
Seul Pôle emploi (nos impôts) nous permet pour l’instant de partir aux quatre coins de la France pour écrire des articles. Très généreusement, une association de lutte contre le cancer a accepté de nous faire un don, sans que cela n’engage de contreparties pour Malades de sport. Cela nous va très bien. Loin de nous l’idée de vouloir dépendre d’un annonceur qui aurait son mot à dire sur nos publications.
Gagner nos vies
De cette question sur la rentabilité du projet découle fréquemment une autre interrogation : “Quand allez vous chercher un travail ?” Comprenez entre les lignes : “Allez-vous un jour arrêter de profiter du système ?” À cette question la réponse est oui, faute d’alternatives. Oui, à la seule condition que le documentaire soit prêt à être diffusé. Pourtant, nous avons bien tenté de trouver un moyen pour que Malades de sport puisse vivre de ses propres ailes. Formation à la création d’une société, intégration d’une coopérative, devenir auto-entrepreneur… Le problème reste le même : impossible à l’heure actuelle d’être rentable en vendant notre information.
À l’origine, ce n’est d’ailleurs pas du tout l’intention de ce site. L’intérêt général, voilà ce qui nous guide. Proposer au plus grand nombre des informations accessibles sur le cancer et les moyens de le combattre, surtout par l’activité physique. Diffuser des contenus pour comprendre. Car pourquoi s’acharner à courir si l’on ne saisit pas directement le bénéfice de l’activité ? Trop peu de médecins, aujourd’hui, font ce travail d’informer sur ce soin de support qui prend chaque jour un peu plus de place dans la société, notamment depuis la loi et le décret de 2016 sur le sport sur ordonnance. C’est donc à nous d’apporter notre petite contribution, pour tenter d’alerter ces malades qui se voient dépérir, pour raisonner ces proches qui incitent parfois au repos total et au moindre effort.
Tenter de faire reculer la mortalité, voilà la quête de tous ceux qui s’engagent contre le cancer. Faire gagner nos vies, en somme. Ce message de santé publique n’a pas de prix à nos yeux.
Quel statut choisir ? L’association nous semble la meilleure façon d’exister en tant que personne morale. Nous réfléchissons à l’idée de l’ouvrir à des adhérents. Pourquoi pas rêver d’organiser un jour, une course à pied entre malades ou proches de malades ? Nous allons également bientôt proposer un dossier afin de faire reconnaître maladesdesport.fr comme un site d’information. Nous pensons qu’en travaillant de nombreuses heures chaque jour sur ces contenus, nous effectuons un travail de journalistes – même chômeurs – qui devrait être reconnu.
Toutefois, on ne peut pas échapper aux questions d’argent. Alors quand nous allons à une conférence de KissKissBankBank (le site de crowdfunding) sur “comment financer son documentaire”, et que nous entendons des jeunes créateurs – à la coupe de cheveux bien travaillée – qui, pour leur “premier film” et alors qu’ils “n’y connaissaient rien”, atteignaient des budgets de 20 000 ou 30 000 €, on se demande encore si nous avons une chance de voir notre documentaire un jour sur un autre écran que celui de notre ordinateur… Que l’on se rassure : quand on vit d’amour et d’eau fraîche, rien ne paraît impossible.