Caen, vendredi 3 novembre 2017
L’alimentation joue un rôle primordial dans le traitement de la maladie puisqu’elle peut notamment “fatiguer les cellules cancéreuses”, réduire les effets secondaires et ainsi “potentialiser les effets de la chimio”, nous ont expliqué Marie-Chantal Canivenc-Lavier et Émeline Lavier, chercheuses et auteures du livre Bien manger pendant un cancer (Hachette). Si leurs recettes sont réalisables chez soi, à l’hôpital, les patients sont soumis à un régime qui ne satisfait pas toutes les papilles, et que seules les associations sont en mesure d’améliorer. Au Centre hospitalier universitaire de Caen, c’est surtout l’aspect nutritionnel qui est surveillé, par 4 nutritionnistes et 15 diététiciennes.
Des plaintes à l’encontre de la nourriture à l’hôpital ? « C’est quotidien. On entend surtout que le service n’est pas à la hauteur, surtout pour des patients faibles, voire fébriles », souffle Baptistine Rigault, diététicienne dans le service oncologie du Centre hospitalier universitaire de Caen. Le cliché a la vie dure, en Normandie comme ailleurs : la bouffe de l’hosto, c’est pas du gâteau. Allergies et aversions de chaque patient sont tout de même prises en compte, grâce à un petit questionnaire rempli en début de séjour : vous n’aimez pas les petits pois, on ne vous en servira pas. Sauf erreur sur le logiciel repas.
Mais c’est surtout la qualité des produits qui gêne les mécontents. Malheureusement – ou heureusement, selon le point de vue –, les plateaux doivent répondre à des normes de sécurité bactériologique. « Cela passe par des procédés de cuisson qui peuvent altérer le goût », explique le Pr Marie-Astrid Piquet, gastro-entérologue responsable de l’Unité transversale de nutrition clinique. Autres critères dans l’élaboration des repas : la variété des menus et… l’apport suffisant de protéines et de calories. Voilà qui laisse peu de place aux saveurs.
Et pour l’association Le Sourire d’Hélèna, il était temps que cela change. Créée en juin 2015 par la famille Henry, à la suite du décès d’Hélèna à l’âge de 20 ans, victime de la maladie de Hodgkin, elle a pour vocation d’améliorer le quotidien et le confort des patients du service hématologie du CHU de Caen grâce à des dons et des remises de matériel. Sa petite sœur Anne-Laure, vice-présidente de l’association se souvient, amusée :
« L’alimentation est une priorité depuis nos débuts : Hélèna ne finissait jamais ses plateaux ! Mais ça n’avait pas été un problème longtemps, puisque nous, nous lui apportions à déjeuner… Parfois McDo’ ! »
« Mais pour les personnes seules ? » rebondit Sarah, sa mère, qui regrette surtout que la seule réponse donnée par l’hôpital soit le manque de moyens.
Pour y remédier, l’association a fait un don de 5 000 €, issus de deux dîners de gala. « Désormais, tous les fonds récoltés lors de ces événements serviront à améliorer les repas de l’hôpital », promet-elle. Cette première somme devrait permettre à Baptistine Rigault, la diététicienne qui suivait Hélèna pendant ses traitements, de proposer un projet d’amélioration sur environ deux ans, estime-t-elle.
« L’idée, c’est d’offrir aux patients des produits de meilleurs qualités, notamment au petit déjeuner. Ils se plaignent souvent de la qualité de la confiture, ils aimeraient du miel, des morceaux de chocolat ou des pains au lait… Le projet sur lequel je suis en train de travailler devrait transformer ce premier repas quotidiennement. »
Dans tous les cas, il reste très difficile de proposer des changements plus larges. « Au départ, on avait pensé à des repas bio, mais la part revenait à 8 € par patient », souligne Anne-Laure. Beaucoup trop onéreux pour un hôpital, qui ne doit dépenser que 4 ou 5 € par jour et par patient.
Dépistage
La question du plateau-repas soulève un point autrement plus important que la seule satisfaction des papilles. Car il est indispensable, pour un patient qui entame des traitements lourds comme la chimiothérapie, de ne pas être trop dénutri. Marie-Astrid Piquet précise :
« La dénutrition, c’est la perte involontaire d’au moins 10 % de son poids. Elle est souvent provoquée par des cancers digestifs ou avec une grosse masse tumoral, à l’instar du cancer du poumon, mais aussi par des traitements agressifs : greffes de moelle, radiothérapie au niveau du système digestif… »
Voilà pour la théorie. En pratique, elle peut entraîner l’aggravation de la maladie : « On observe une baisse de la survie à stade égal entre un patient avec un poids correct et un patient dénutri, poursuit la professeure, mais aussi une augmentation des complications infectieuses et un ralentissement de la cicatrisation dans le cas d’une opération. » Outre ces effets somatiques, la dénutrition joue également sur la qualité de vie en causant dépression et frilosité. Et pour les seniors, quand les muscles qui servent à se lever (quadriceps, abdominaux, etc.) ne fonctionnent plus, « on peut basculer dans la dépendance ».
À son entrée à l’hôpital, on demande au patient de se peser et d’indiquer son poids de forme. « Tous les services sont formés pour dépister la dénutrition », assure Marie-Astrid Piquet. Si une anomalie est constatée, le médecin peut prévenir une des 15 diététiciennes du CHU, qui va alors prendre en charge le malade. Les aide-soignants surveillent également l’attitude des personnes hospitalisées : finissent-elles bien leurs repas ? La professeure indique :
« Parfois, il suffit d’augmenter le nombre de protéines au déjeuner pour faire reprendre un peu de poids, ou de donner des compléments nutritionnels sous forme de boisson, quand l’appétit n’est pas trop dégradé. »
Si c’est le cas, on peut passer à une nutrition « entérale », c’est-à-dire administrée sous forme de sonde, ou par voie veineuse (« parentérale »).
Plutôt sucré & fractionné
Quoiqu’il en soit, cette étape est indispensable. Car de l’état du patient peut dépendre sa capacité à recevoir les traitements. « En radiothérapie par exemple, les 2e et 3e semaines sont les plus toxiques pour l’appareil digestif. Si le patient est trop dénutri, on va être obligé d’arrêter le traitement », poursuit la responsable de l’Unité transversale de nutrition clinique. Avec toutes les conséquences que cela induit…
Pour éviter d’en arriver là, 4 nutritionnistes (pour la nutrition entérale) et 15 diététiciennes (pour la nutrition orale) veillent sur les différents services de l’hôpital… toujours sur prescription médicale. Baptistine Rigault explique :
« Nous avons de petites astuces pour éviter que les nausées ne perturbent trop l’appétit. On personnalise les menus, car certains ingrédients vont être mieux tolérés. Le sucré est privilégié par rapport au salé, le froid par rapport au chaud… On peut également fractionner les repas dans la journée et proposer des aliments qui ne demandent pas trop de travail à l’organisme, comme des pâtes ou des biscuits, à l’inverse des épices ou des fibres. »
On insiste également sur les protéines, pour limiter l’amyotrophie.
Toutefois, en oncologie, on ne propose pas d’entretien systématique avec un spécialiste – seulement si on suspecte la dénutrition. C’est en partie dû à un personnel trop restreint par rapport au nombre de patients. Ce que regrette Marie-Astrid Piquet : « Mon champ d’action, c’est tout l’hôpital. On devrait surveiller la nutrition partout. Mais ce n’est pas la priorité du chirurgien. » À tel point qu’au quatrième étage, le service hémato ne dispose que d’un seul pèse-personne. « Ce n’est pas à nous de les acheter, estime la famille Henry. Mais nous allons quand même le faire : c’est indispensable quand on connaît l’importance de la surveillance du poids dans l’efficacité des traitements ! » C’est d’ailleurs une responsable du service qui en a touché un mot à l’association Le Sourire d’Hélèna. Celle-ci en offrira une dizaine lors de sa remise de matériel annuelle, le 28 décembre.