Mortagne-au-Perche, jeudi 23 avril 2020
Depuis le 17 mars 2020, les Français vivent dans un strict confinement. Une situation délicate, plus ou moins bien vécue selon les conditions d’habitation notamment. Mais pour les malades du cancer en plein traitements, c’est une nouvelle épreuve à surmonter, remplie d’angoisses. Pour eux et les professionnels de l’activité physique adaptée, l’heure est à l’innovation.
L’angoisse est légitime. Si l’on sait que le coronavirus, est surtout meurtrier pour les personnes âgées, il l’est aussi pour les patients qui présentent des maladies chroniques, comme c’est le cas du cancer. Très souvent, un cancer et ses traitements impliquent une grande baisse des défenses immunitaires et donc un risque accru d’attraper des infections. Avec un corps affaibli, le virus pourrait avoir des effets dévastateurs pour un patient atteint de cancer. Plus encore que pour la population générale, il est donc conseillé par les oncologues et hématologues de sortir le moins possible tout en fréquentant un nombre extrêmement restreint de personnes.
Cependant, il faut bien se soigner. Il ne s’agit certainement pas de renoncer à ses traitements, que ce soit pour les cancers ou pour toutes les pathologies détectées. Pour ce faire, les CHU et établissements médico-sociaux ont pris toutes les mesures nécessaires pour assurer une poursuite des traitements avec un minimum de risques. Au CHU de Caen, toutes les chimiothérapies sont par exemple rassemblées au 3e étage du bâtiment Femme-enfant-hématologie. Au centre anti-cancer François-Baclesse, des mesures très strictes ont été prises là aussi, pour éviter que les patients ne se croisent pendant leur passage en soins.
“Je suis devenue parano“
“Le climat est vraiment rassurant.” Magali est malheureusement une habituée des soins. Touchée par un cancer du duodénum (partie haute de l’intestin grêle), elle vit sa 7e rechute et n’a jamais connu de longue période sans traitements. “On ne m’a jamais parlé de rémission jusqu’à maintenant. Les médecins sont très prudents. Je vis avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête”, raconte cette habitante de la proche banlieue caennaise. Bien avant le confinement, elle impose des règles assez strictes à la maison où elle vit avec son mari et ses filles.
“J’ai tout de suite senti que ce serait grave. Alors j’ai affiché des consignes dans les couloirs, sur des feuilles. J’étais sans doute un peu chiante avec tout le monde, mais j’avais peur, oui.”
Finalement, le confinement strict arrivera quelques jours plus tard et sonnera la fin des sorties des jeunes filles. Magali décide alors de ne plus mettre le nez dehors dans la rue et se contente de se promener dans son jardin. Les cours qu’elle suivait avec la Cami Sport et Cancer sont naturellement annulés. “Toute seule, c’est très difficile de se motiver”, se justifie-t-elle. Pourtant, elle s’impose quelques séances de marche nordique avec les bâtons, autour de sa maison, “pour ne pas perdre la technique”. Le quotidien est rythmé par quelques loisirs comme un atelier d’écriture qu’elle suit à distance et la fait voyager. Mais surtout par l’agenda des traitements, qui touchent à leur fin. “Je ne sortais que pour aller au centre François-Baclesse”, décrit-elle. Mi-avril, un scanner réalisé en fin de traitement montre que Magali a plutôt bien réagi à son protocole de soins. Cela lui laisse trois mois de répit, sans aucune séance de chimio, avant de refaire un bilan. Un luxe trop rare pour elle ces dernières années.
Habituée des séances de yoga et de méditation, Marie (le prénom a été modifié) affirme quant à elle n’avoir jamais eu peur d’attraper le virus. Confinée à Bellême (Orne), elle a appris au fil des années à faire face à ses angoisses et à les surmonter. Pourtant, alors que son frère l’appelle presque chaque jour pendant un mois pour l’inciter à ne pas sortir, la retraitée finit par se dire :
“J’ai le droit de sortir une heure par semaine, alors je ne m’en prive pas. À un moment je le faisais une fois tous les deux jours, et désormais c’est chaque jour. C’était un véritable besoin.”
Traitée pour un cancer du côlon en 2017 et en rémission aujourd’hui, elle ne fait pas partie de ces immunodéprimés. Mais moralement, le doute est permis quant aux risques pour les anciens malades. À Caen, Magali aussi a fini par s’autoriser, quatre semaines après l’allocution présidentielle du 16 mars 2020, de rares sorties dans la rue avec Thierry, pour prendre l’air. Mais pas question de s’emballer. “Je pense que je suis devenue un peu parano”, croit-elle.
Magali raconte comment, après chaque sortie de Thierry pour aller faire des courses, qu’il récupère en “drive”, elle se tient loin de lui avant qu’il ne se soit entièrement désinfecté. “Je regarde tout, je scrute, je nettoie ensuite les surfaces.” Une angoisse bien présente, surtout la nuit, qu’elle tente d’apaiser avec des séances d’auto-méditation, dont elle a le secret. “Certains soirs je tremble, je dors très mal, très peu. J’arrête de regarder les infos, car c’est assez négatif en ce moment.”
Étudier la sédentarité
Ce qui est assez négatif en ce moment, et même potentiellement “dramatique” selon les mots de Benjamin Larras, c’est le niveau de sédentarité des Français pendant le confinement. Chargé de missions pour l’Observatoire national de l’activité physique et de la sédentarité (Onaps), il s’occupe notamment pour le ministère des Sports de mener une enquête nationale sur le niveau d’activité physique et de sédentarité des Français pendant cette période de confinement. “L’objectif est d’avoir des données avant et après cette période où l’on peut penser que la sédentarité va fortement augmenter car les personnes ne peuvent pas sortir”, décrit Benjamin Larras.
Ce questionnaire, réparti par tranches d’âges, donnera des indications sur les pratiques de la population générale. Le chargé de mission de l’Onaps espère :
“Il est encore trop tôt pour dire si la situation va clairement avoir un effet négatif sur la santé des Français. Il est possible également que les multiples applications, les solutions d’activité physique à domicile, aient à long terme un impact sur les comportements.”
Afin d’assurer le maintien d’une activité régulière, le gouvernement a conseillé l’utilisation d’applications dédiées : Be Sport, Goove App, Bouge chez toi ou encore, Activiti by My Coach.
Selon une étude publiée le 16 avril 2020 par le site Coachme.fr, 41% des Français interrogés pratiquent moins de sport qu’avant le confinement, alors que seulement 1 sur 3 déclare avoir augmenté sa pratique. Pour les enfants (5-17 ans), qui doivent en moyenne pratiquer une heure d’activité physique par jour, le manque d’activité physique, notamment à l’école, commence à inquiéter les politiques. Une vingtaine de députés LREM, dont le Normand Bertrand Sorre, militent pour une réadaptation du temps scolaire à la sortie du confinement afin de laisser une place plus importante à l’activité physique. Le député a pris la plume mardi 21 avril pour demander au ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, de réfléchir à des mesures sur le long terme.
Pour les plus grands qui veulent se mettre au sport chez eux, il est toutefois recommandé de ne pas oublier de s’échauffer largement et de boire en quantité. L’intensité des exercices, même modérés, démontre des effets bénéfiques sur la santé des pratiquants. “Attention toutefois car une pratique d’intérieur va induire la mise en action de nouvelles chaines musculaires”, tient à préciser Benjamin Larras. De même, il est déconseillé de pratiquer si l’on a de la fièvre.
Face à cette situation inédite, l’OMS a même revu sa copie et recommande désormais de se lever et de marcher toutes les 30 minutes, pour rompre les temps de sédentarité. “On peut conseiller de faire du jardinage, du ménage, monter ses escaliers, travailler son équilibre.” Le chargé de mission est formel :
“L’activité physique a pour effet de diminuer le stress, de préserver le lien social, d’aider à la concentration, au sommeil, et de booster les défenses immunitaires, ce qui est un plus face au Covid-19.”
Solution visio
Pour les personnes malades, maintenir une activité physique est une autre histoire. En effet, si là aussi des applis spécialisée comme Bulle My Charlotte permettent de pratiquer a minima, nombre d’entre elles bénéficiaient d’un programme d’activité physique adapté, souvent en groupe et encadré par un professionnel. Depuis le 17 mars, une majorité de ces programmes se sont arrêtés.
C’est par exemple le cas du programme d’éducation thérapeutique du Creps de Vichy (Allier). “Nous avons fait le choix de tout arrêter et de ne pas organiser des séances en visio”, lance sans détours Anne-Sophie Joseph, la chargée de mission sport-santé de l’établissement. Ce programme, qui bénéficie à 60 personnes et est validé par l’ARS, dure trois mois et propose 3 séances d’activité physique par semaine pour les bénéficiaires, atteints de maladies chroniques diverses. Pour Anne-Sophie Joseph, “derrière un écran, on ne peut pas tout voir. Et s’il arrive un soucis, on ne peut pas intervenir. Notre souhait étant de ne pas surcharger les urgences, on a préféré conseiller de bouger très simplement un peu tous les jours, mais nous reprendrons les cours collectifs qu’une fois l’épidémie terminée.”
Autrement dit, impossible à l’heure actuelle de définir une date. Les bénéficiaires, qui participent à hauteur de 30 euros par mois à ce programme, ont l’assurance de pouvoir bénéficier d’un mois supplémentaire afin de reprendre “en douceur”. Mais ne pas prendre de risque ne veux pas dire ne rien faire du tout :
“On insiste vraiment sur les temps de sédentarité. On recommande d’aller marcher 30 minutes chaque jour, quand c’est possible. Car pour la population générale, l’effet risque d’être vraiment grave. On va voir apparaître chez certains des pathologies liées à la sédentarité, c’est une quasi-certitude.”
“Pour nous, le confinement n’a presque rien changé”, s’amuse Adeline Tourgis. Enseignante APA pour la société Mooven (ex-V@asi), elle propose des séances d’activité physique à distance et ce, toute l’année. C’est la spécificité de cette start-up qui compte des dizaines d’enseignants un peu partout en France. Les cours peuvent être collectifs ou individualisés, pour les personnes souffrant de maladies chroniques notamment. “On poursuit donc les séances avec les malades, comme avant”, souligne celle qui s’occupe du secteur de Caen et sa région. En plus de ses séances à distance, elle menait aussi des séances en présentiel au service d’onco-pédiatrie du CHU de Caen. “J’ai fait la demande auprès du service et peu de temps après le confinement, j’ai obtenu l’autorisation de continuer les séances à distance.” Les enfants malades ont donc la possibilité de continuer, sur un rythme presque normal, les séances ludiques que propose Adeline.
Les séances sont ouvertes aux particuliers qui le souhaitent en contactant la société via son site internet, et pour aider leurs confrères qui souhaitent s’adapter au confinement, des formations à la visio sont proposées. “Coach visio a pour objectif de permettre de dispenser des programmes d’activités physiques et/ou sportives à distance en toute sécurité. Les différentes compétences visées sont les suivantes : comprendre les subtilités qui permettent de créer du lien social et maintenir une motivation malgré la distance ; gagner en confiance en s’exerçant à enseigner des séances d’AP par visioconférence ; maîtriser les protocoles de secours et sécurité à distance ; s’approprier les protocoles de résolution de problèmes informatiques”, détaille Mooven. D’autres formations sur les spécificités de l’activité physique pour les maladies chroniques, sont également proposées toute l’année.
Mais pour tous ces malades qui découvrent, parfois avec une certaine excitation, ces séances d’un nouveau genre, une question se pose : quand vais-je pouvoir pratiquer à nouveau en groupe avec un spécialiste ? Pour Samuel Gouin, titulaire d’un Master 2 en Staps et d’un DU sport et cancer et donnant des cours pour la Ligue contre le cancer dans l’Orne, “il est impossible de donner une date précise de la reprise des cours”. Difficile d’envisager un retour à la normale dès le 11 mai, même si les salles sont grandes et que la distanciation peut-être mise en place. “Il faudra poser la question aux bénéficiaires et faire les choses en douceur”, concède-t-il.
Marie-Madeleine, une de ses bénéficiaires, en rémission d’un cancer des ovaires depuis moins d’un an, préfère ne prendre aucun risque dès qu’il s’agit d’être en groupe :
“Je suis sensée aller à l’hôpital du Mans (Sarthe) pour avoir les résultats de mes examens de contrôle. Mais si les bilans sont bons, je vais annuler le rendez-vous. Je ne veux pas aller à l’hôpital, cela me fait peur.”
Même ambiance chez Magali, près de Caen : “Je ne sortirais pas de chez moi sauf si des mesures strictes sont prises, comme un dépistage massif et le port de masques. Sans quoi il est hors de question que je sorte mi-mai, déconfinement ou non.” Pour les malades, cette crise sanitaire est donc un énième problème qu’il fait faut surmonter. À l’heure où la population “saine” aura repris le chemin du travail, des pique-niques et des balades en plein air, ils seront nombreux à être encore chez eux par précaution ou par obligation. L’activité physique sera, plus que jamais, un bon remède pour lutter contre leur confinement à durée indéterminée.