Argentan, vendredi 10 avril 2020
Jean-François Merhan a 55 ans. Originaire de la région de Nantes, il y a couru son premier marathon au début des années 2000. Vingt autres suivront, alors qu’il pensait cela impossible : il avait été diagnostiqué hypertendu à la fin de son adolescence. Aujourd’hui, il suit une formation pour encadrer les enfants qui commencent l’athlétisme.
Ma chance a été de rencontrer, en 1985, un médecin du travail qui m’a dit : “Si vous ne faites rien, vous serez en fauteuil roulant à 25 ans ; vous risquez une congestion cérébrale.” Ça été un choc : on m’avait diagnostiqué une hypertension artérielle sévère. Adolescent, j’avais déjà suivi un traitement médical pour le même problème, d’un mois seulement ; ma tension était retombée à un niveau acceptable, mais toujours élevé pour un garçon de mon âge. Après ce premier diagnostic, mon médecin de famille me fait faire une batterie d’examens. Qui confirme : je suis un hypertendu chronique. “Il va falloir l’accepter. On vit très bien avec, mais il vous faut un traitement à vie, quotidien, pour réguler cette tension.” À vie !
Je suis rentré il y a quelques mois de mon service militaire, dont je n’ai pas été exempté, mais au cours duquel je n’ai pas fait de sport – à cette époque, c’était plutôt déconseillé de pratiquer avec ma maladie. J’avais grossi de 10 kg. Travaillant dans l’administration pénitentiaire – j’ai d’ailleurs dû mentir à propos de ma santé pour y entrer -, j’ai des horaires décalés, je ne fais pas sport régulièrement. Avec le stress, je ne cesse de prendre et de perdre du poids, et la tension monte. J’ai dû arrêter le football, j’avais 27 ans. Quand j’avais pris ma licence, le médecin du club m’avait dit : “Je signe votre licence, mais je ne devrais pas.”
Quelques années plus tard, par défi, je m’inscris au semi-marathon d’Argentan (Orne) 1996, avec un copain. La course était alors support du championnat de France pénitentiaire. Je n’ai jamais assez remercié ce collègue, car ma passion pour la course est partie de là. J’ai alors 32 ans, je me dis qu’il faut que je change quelque chose dans ma vie. L’avantage de la course est de pouvoir pratiquer quand on veut – pratique, avec mes horaires. Je m’entraîne un peu comme ça et… je perds 10 kg. J’avais envie d’apprendre, je m’inscris dans le club des sapeurs-pompiers d’Écouché.
Je me rends compte que je ne serai jamais un super champion, mais j’ai des capacités.
Les chronos que j’arrivais à faire me donnait la motivation à m’entraîner toujours plus et, depuis, je n’ai jamais arrêté de courir. Bien qu’un médecin de l’Institut interrégionale pour la santé (Irsa) m’ait dit : “Mais c’est n’importe quoi ! Il ne faut surtout pas que vous dépassiez les 150 bpm, vous allez mourir !”
Du sevrage au marathon
En 1999, visite médicale professionnelle. Le médecin qui me suit depuis quelques années me dit : “Vous devriez voir avec votre médecin traitant pour arrêter votre traitement. Car à mon avis, ce n’est plus qu’un placebo.” Il s’explique : “Vous avez le rythme cardiaque d’un coureur de fond, une tension régulière ! La pratique du sport vous a probablement guéri.” Mais lorsque je vais voir mon médecin de famille, il est un peu sceptique. Je n’insiste pas. Je dois de toute façon le revoir dans 6 mois. En janvier 2000, finalement, il me dit : “Votre hypertension est guérie, donc on va arrêter le traitement.” Mais cette fois-ci, c’est moi qui n’était pas prêt ! Après 13 ans de traitement quotidien, arrêter du jour au lendemain… Il me fait faire un sevrage, je prends la pilule un jour sur deux pendant trois mois. Et depuis avril 2000, je n’ai plus jamais eu de traitement, ni d’hypertension.
C’est là que je me suis lancé le défi de courir un marathon. Mon meilleur souvenir de course n’est autre que mon premier, à Nantes. Je partais pour le faire en 3h30… J’ai mis 3h05 ! C’est d’ailleurs presque mon meilleur temps, puisque je ne suis jamais descendu au-dessous de 3h04. En 25 ans, j’ai dû faire entre 300 et 400 courses – je n’ai abandonné qu’une seule fois – et 21 marathons… un par an !
Et puis m’est venue l’idée d’accompagner des gens qui débutaient en compétition. Je trouve dans ces moments-là une sérénité absolue, j’arrive à apaiser ceux avec qui je cours.
Je pense que c’est grâce à tout ce par quoi je suis passé, comme un aboutissement. J’ai fait grâce à ça des rencontres phénoménales, bien qu’éphémères, comme cette fois où une jeune femme s’est rendu compte, après plus de 30 km, qu’on souffrait autant l’un que l’autre. Elle m’a proposé que l’on souffre ensemble ! On s’est relayé jusqu’à la fin. Elle a terminé 45 secondes avant moi, et on s’est tombé dans les bras. Ou cette autre fois, également à Val-de-Reuil, où j’ai poussé une personne en fauteuil roulant pour l’association Les Clowns de Sarah.
Aujourd’hui, j’ai 55 ans et je suis à la retraite. Je suis une formation validante pour devenir initiateur en école d’athlétisme, pour le programme Pass’athlé, qui s’adresse aux enfants de 5 à 11 ans. À Argentan, il y a eu une recrudescence des inscriptions, ils sont une cinquantaine, le club d’athlétisme cherchait quelqu’un pour les encadrer. J’apprends à enseigner de manière ludique, j’ai fait une formation sur la responsabilité éthique, et j’ai découvert la marche nordique, dans le cadre de l’apprentissage “sécuriser et encadrer”. J’ai d’ailleurs toujours dans un coin de ma tête l’idée d’accompagner des gens malades, mais j’estime pour cela avoir besoin de bases solides d’encadrant. Le Pass’athlé sera certainement une bonne école, mais il me faudra une autre formation dédiée.