Préambule : dans le cadre d’un article co-réalisé avec Raphaël Tual sur Enquêtes d’actu, nous avons interrogé le pionnier du sport sur ordonnance Alexandre Feltz, ainsi qu’un enseignant Apa de la Manche ayant réalisé une expérimentation avec la CPAM, Mathieu Legraverend, concernant la question du financement. Voici leurs réponses en deux temps.
Caen, vendredi 15 octobre 2021
Lire ici l'interview d'Alexandre Feltz.
La question du financement du sport-santé s’est toujours posée, dès la promulgation de la Loi de modernisation de notre système de santé, en janvier 2016, qui n’en faisait d’ailleurs pas mention. En 2019, dans la Manche, la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) s’était rapprochée de la plateforme d’éducation thérapeutique Planeth patient pour apporter son aide. Entretien avec Mathieu Legraverend, salarié de cette plateforme, enseignant en activité physique adaptée (EAPA) et diététicien.
Pouvez-vous nous présenter Planeth patient ?
Il s’agit d’une plateforme d’éducation thérapeutique (ET) dédiée aux malades chroniques. Sa mission est de coordonner des programmes, notamment en médecine libérale. Nous avons la volonté de la déployer, d’abord dans la région Normandie.
Dans ce cadre, nous avons réalisé une expérimentation sur un dispositif de sport sur ordonnance, dès juin 2019, avec un financement de l’Agence régionale de santé (ARS). Cela permis au Pôle de santé de Coutances d’être labellisé Maison sport-santé dès la première vague, en janvier 2021.
Ce dispositif concerne toutes les personnes en Affections longue durée (ALD), sous condition de prescription par un médecin traitant. Il commence par un bilan d’activité physique avec un EAPA, qui débouche a minima sur un atelier d’ET : les messages essentiels de l’intérêt de l’Apa ; les bénéfices de santé & risques de la sédentarité ; du coaching pour rassurer ceux qui n’ont aucune antériorité de pratique.
L’objectif est d’autonomiser le patient pour l’intégrer dans une structure partenaire.
Les bilans et les séances d’ETP sont actuellement entièrement financés par l’ARS, qui apporte aussi un forfait de 120 € pour les séances encadrées. Grosso modo, on atteint 185 € d’aide.
Pouvez-vous revenir sur l’expérience que vous aviez voulu mener avec la CPAM de la Manche ?
Avant Planeth patient, née en 2008, il existait le Réseau obésité diabète, qui était aussi financé par l’ARS, avant même le décret. Nous avions disposé d’un gros budget pour financer une salle de sport dédiée aux patients, en ville.
Mais en 2012, il y a eu une baisse drastique des financements, donc on est resté uniquement sur l’éducation thérapeutique. Avec l’apparition du décret, c’est l’ARS qui est revenue vers nous, fin 2018. On n’était pas démunis financièrement, et la CPAM est venue vers nous pour nous apporter un soutien d’évaluation.
Cela consistait en des Délégués d’assurance maladie (Dam), qui devaient aller voir les médecins généralistes pour les informer sur l’AP ; par exemple sur la prescription par rapport aux recommandations. Comme des visiteurs médicaux pour les labos. La crise du Covid est arrivée, donc on n’a pas pu le mettre en place ; on devrait les former prochainement pour relancer le dispositif.
Quel est l’état d’esprit de la CPAM de la Manche sur le financement du sport sur ordonnance ?
Tout récemment, lundi 5 octobre, la CPAM est revenue vers nous pour éventuellement compléter le dispositif dans le cadre des Covid longs. Ils se sont positionnés pour accompagner les personnes vulnérables sur le soutien psychologique et l’APA.
Ce qui a bougé un peu, c’est le forfait en oncologie : un forfait de 180 € peut être donné aux structures de santé qui le demandent, financé par la CNAM. Ça, c’est normalement pérenne ; c’est entré dans le champ de remboursement, mais c’est fléché uniquement vers l’oncologie.
Pourquoi est-ce si difficile de le faire financer par la Sécu ?
Ce qui bloque, c’est le modèle économique : il faut que la CNAM soit en capacité de trouver le modèle le plus viable possible, et c’est très dur. Face au nombre de personnes éligibles par le décret porteurs de maladies chroniques (environ une trentaine, soit 11 millions de personnes en France, NDLR), la difficulté est de trouver un point d’équilibre en termes de rentabilité. Ils sont pour l’instant en attente de la construction de ce modèle.
Mais c’est illusoire d’imaginer qu’on pourrait passer ça comme un acte de prescription classique à la demande des médecins et sans limite.
Il faut construire un modèle, probablement sous la forme d’un forfait, avec des critères sélectifs pour que ce soit profitable aux patients qui en ont le plus besoin, notamment les plus éloignés de la pratique. Le dispositif est d’impulser, mais n’est pas tenable sur le long cours.
Ce n’est pas facile de construire le modèle car il peut y avoir une pluralité de méthodes : les Maisons sport-santé sont actuellement très hétérogènes. Nous, on a un modèle un peu particulier parce qu’on couvre un territoire large, on ne salarie pas nos intervenants : nos EAPA, ce sont des gens payés à l’acte sur facture, comme une consultation.
Faut-il s’adapter à chaque méthode ?
Non, il faudrait probablement homogénéiser les dispositifs en France. On est dans une période où l’on laisse faire différents modèles pour les évaluer et ressortir celui qui pourrait être le plus adapté. Il y a une histoire de temporalité. Ce qu’ils attendent au niveau national, ce sont des retours objectifs d’évaluation, pour comparer les modèles.
On est les premiers à ne pas être tellement à l’aise sur ces évaluations, car elles ont été totalement perturbées par le Covid. Les 6 premiers mois du début ne nous permettent pas de sortir des chiffres consolidés, car on n’a pas pu revoir en bilan finale les patients qui avaient commencé.
La CPAM a-t-elle la volonté de participer au financement du SSSO ?
C’est en réflexion, c’est sûr ; c’est même leur priorité de travailler sur des éléments d’évaluation, qui permettent de montrer l’impact sur le recours au soin et le coût de santé : diminution des traitements, fréquence des hospitalisations…
On va y arriver, c’est sûr. C’est comme l’évolution de l’ET : on était, les premiers temps, dans une logique où il fallait montrer des preuves de sa pertinence ; et plus on avance moins on a à se justifier. Les preuves scientifiques, elles sont là. Mais il manque les modalités de mise en œuvre : tout l’aspect logistique ; quelle forme on doit donner à cette structuration.
Par exemple, on s’est retrouvé confronté à la problématique de la mise en autonomie du patient : certains ne voulaient pas sortir du dispositif ou n’intégraient pas une autre structure. Il faut revoir notre copie : que les patients soient intégrés dès le départ dans une structure partenaire.
On avait tenté en 2011-12 la gym volontaire avec un maillage territoriale, mais il y avait un point de fragilité : la formation des encadrants, qui n’avaient qu’un simple diplôme fédéral et ne connaissaient pas les pathologies. Là, on met en place des créneaux spécifiques, comme la loi nous l’impose, et ça change tout.
Donc financièrement, pour l’instant, on est encore avec l’ARS, mais il y a une volonté claire de la Sécurité sociale de participer.
Qu’est-ce qui pourrait la convaincre ?
Il existe « l’article 51 », qui permet des expérimentations de toutes sortes d’être financées par la CNAM, avec l’objectif d’envisager un élargissement national. Et donc d’entrer dans le champ du remboursement. Il y a différents articles 51 qui sortent tous les ans, et de plus en plus en plus sur l’APA.
Dans ce schéma-là, par exemple, ont été expérimentées des consultations de podologie pour les patients diabétiques qui avaient des problèmes aux pieds. Ces consultations n’étaient pas remboursées par la Sécu, mais cette expérimentation a permis de montrer que ce soin de podologie permettait parfois d’éviter l’amputation.
Est ce que cette votre implication dans le dispositif a pu donner des idées à d’autres ?
On est sur un modèle qui couvre un territoire large, que l’on essaie d’élargir pour qu’il y ait le même dispositif partout. La plupart du temps, on est plutôt sur des dispositifs locaux, portés par des volontés politiques, avec de l’argent de la collectivité, parfois associés à des financements ARS. Par exemple en Normandie, il y a le dispositif Imapac (Calvados), Apamal (Orne), financé par l’ARS et le CDOS.