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Caen, jeudi 10 janvier 2019
Le Dr Joffrey Drigny, spécialiste en médecine physique et de réadaptation au CHU de Caen, a présenté les résultats d’une étude préliminaire sur le dispositif de sport sur ordonnance à Caen, lors du Congrès SFMES-SFTS (Société française de médecine & Société française de la traumatologie du sport), qui se tenait au Havre fin septembre. Ces observations montrent que le dispositif convient particulièrement aux malades psychiatriques, et que les médecins jouent le jeu de la prescription.
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Sur quelle période cette étude a-t-elle été menée et quelle en était la méthode ?
Il s’agissait d’une étude descriptive, avec pour intérêt de savoir quelle est la population qui a accédé au dispositif et s’il répondait bien aux problématiques que nous avions mises en évidence lors des différents comités de pilotage qui ont servi à sa création. Elle portait sur une année, de juin 2017, date de la création, à l’été 2018. Mais peu de patients avaient effectivement terminé le dispositif au moment du recueil de données, donc l’évolution globale de l’efficacité du programme est difficile à l’heure actuelle. Ce sera l’objet d’une thèse qu’un étudiant en médecine générale va entamer prochainement.
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Qu’avez-vous pu observer des bénéficiaires sur cette première année ?
On a l’impression que les effets vont dans le bon sens, mais on ne peut pas encore l’analyser globalement, car seule une trentaine de personnes a terminé. Ce que l’on peut dire, c’est que pour la plupart des participants, les scores ont dans le sens de l’amélioration, même s’il existe de rares cas où ils stagnent, voire baissent. À l’échelle individuelle, on le voit à l’enthousiasme des participants : les discours sont très positifs, tant au niveau du ressenti physique que de la qualité de vie. Selon Anne Meslin, chef de projet au service des Sports : “Quelques patients ont été surpris de voir que leurs résultats étaient stables alors que dans leur vie de tous les jours, ils se sentaient nettement mieux.” C’est l’intérêt, pour nous, d’évaluer tant la condition physique que des paramètres subjectifs. On ne peut pas dire à quelqu’un : “Vous avez gagné 50 mètres dans le test de marche, donc vous allez mieux.” La question qui se pose, c’est : “Est-ce que le fait de gagner 50 mètres vous permet de vous sentir mieux dans votre vie quotidienne ?” C’est l’analyse de ces deux types de paramètres qui permettent de montrer que le dispositif est efficace. Par ailleurs, c’est surprenant de constater la différence entre les objectifs déclarés par les patients, et ceux de leurs médecins traitants : le médecin est plus symptomatique, tandis que le patient est plutôt dans une quête de bien-être.
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Qui sont ces bénéficiaires ?
Au moment de l’analyse, on nous avait adressé 141 patients, qui ont participé à l’entretien d’accueil, sur lesquels 103 ont effectivement débuté le programme, le reste étant en attente. Plus de la moitié d’entre eux avaient entre 50 et 75 ans (53 %), avec un âge moyen de 53 ans. On compte en revanche 8 % de moins de 25 ans, dont seulement 6 enfants. Et les femmes sont surreprésentées par rapport aux hommes (85 contre 50). Les tests physiques réalisés en début de dispositif montrent qu’ils étaient de bons candidats pour reprendre une activité physique : c’est une satisfaction, on voit que le dispositif s’adresse bien à des personnes en situation de déconditionnement physique ou en inactivité physique. Par exemple, sur le test d’endurance (6 minutes de marche) : les participants faisaient en moyenne 420 mètres ; des femmes de 60 ans (qui représentent la moyenne des participants) devraient, en règle générale, être en mesure de faire 530 mètres. Pour le test de la force musculaire (des relevés de chaise pendant 30 secondes), ils devraient réussir à en faire 12 chez les femmes, 14 chez les hommes ; la moyenne montre qu’ils n’en font que 9.
La précision d’Anne Meslin : “On a de la perdition en route, c’est un des axes de progrès. On en appelle certains 3 ou 4 fois, sans succès, d’autres nous disent qu’ils ne vont vraiment pas pouvoir suivre les 2 séances par semaine. Il y a des gens pour qui ce n’est pas l’heure, et il faut l’accepter ; d’autres qui ont vu leur état de santé s’aggraver et qui ont dû suspendre le programme – ceux-là reprendront probablement à zéro, on verra au moment où ils nous rappelleront.”
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Et qui sont les prescripteurs ?
Nous comptons 81 prescripteurs, ce qui représente 1,7 bénéficiaire par médecin : c’est satisfaisant. Notre crainte était que ça n’intéresse que peu de prescripteurs. Là, on a potentiellement 81 médecins qui peuvent devenir des prescripteurs réguliers, et c’est ce qui permettra de pérenniser le dispositif. Parmi eux, on a 59 % qui viennent de médecine générale, 27 % de psychiatrie (et ça a tendance à augmenter), 5 % d’endocrinologie, 2 % de rééducation, 2 % de neurologie, et 6 % d’autres spécialités, dont la gériatrie.
La précision d’Anne Meslin : “On a atteint les 100 prescripteurs à la nouvelle année. De notre côté, quand on fait le rendez-vous bilan avec le bénéficiaire, on envoie un compte-rendu à son médecin, avec les tests physiques réalisés, le ressenti et la suite prévue : “Il s’est inscrit à telle activité, elle s’est engagé à ça…” On renvoie un mail aux praticiens trois semaines après avec quelques questions, pour savoir s’ils ont été satisfaits de la prise en charge de leur patient. Peu répondent – ils ont beaucoup à faire – et ceux qui répondent donnent peu de précisions. On aimerait un jour faire une étude pour savoir, par exemple, si tel patient a pu baisser sa consommation de médicaments… Pour l’instant, on reste dans du déclaratif.”
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Le dispositif est-il amené à évoluer ?
Alors que l’on observe une surreprésentation des patients orientés pour une pathologie psychiatrique (stabilisée), l’étude de ces résultats a ouvert une réflexion : doit-on faire en sorte d’accueillir une population plus hétérogène ou considérer cette observation comme quelque chose de positif ? Autrement dit, n’est-ce pas justement la force du dispositif ? Peut-être que cela montre que les structures usuelles ne permettent pas aux patients “psys” de pratiquer une activité physique régulière. Ainsi, le dispositif répond à une demande, et les médecins psychiatres ont saisi cette opportunité qui s’ouvrait à eux. Mais ce n’est pas la vocation exclusive du dispositif, l’idéal serait donc de parvenir à l’ouvrir un peu plus aux autres, en encourageant l’accès aux autres orientations, et pourquoi pas rendre les groupes un peu plus hétérogènes. Quoiqu’il en soit, nous souhaitons conserver les 4 critères que nous avions identifiés : pathologies de l’appareil locomoteur, anxiété/dépression, obésité infantile et diabète de type 2. Maintenant, le sport sur ordonnance va nécessiter un nouvel élan, probablement une nouvelle communication, afin de prolonger cette année qui a été très encourageante.
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Cet article est un éclairage du dossier sur le sport sur ordonnance à Caen. Cliquez ici pour revenir au papier principal.