Caen, mercredi 8 mai 2019
C’est peut-être le rapport ultime. Compilant près de 2 000 études scientifiques de rang, un groupe d’une dizaine de chercheurs de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) ont publié en février un rapport de 800 pages sur les bienfaits de l’activité physique sur les maladies chroniques. Baisse de la fatigue, de la mortalité, des récidives, guérison de maladies spécifiques… Le constat est sans appel et donne des recommandations précises pour les médecins, les politiques et la société en général. Chercheur et professeur à l’université de Montpellier, Grégory Ninot a participé à ce rapport et nous en livre les grandes lignes.
Comment avez-vous fonctionné pour publier un rapport si complet sur la question de l’activité physique (AP) et des maladies chroniques ?
C’est le ministère des Sports qui a commandé ce rapport à l’Inserm. L’institut a fait une expertise collective et a demandé à des experts de réaliser ce rapport. Très concrètement, des articles sont envoyés à chaque expert (nous étions 14 au départ et un expert est décédé avant la publication) et des conférenciers sont invités à communiquer. Nous avons donc eu de multiples réunions à Paris pendant trois ans, pour aboutir à ce document de près de 1 000 pages qui dit l’état de la science sur le sujet et donne des recommandations inédites.
Un point clef de la pratique durable d’une AP, c’est la motivation. C’était donc intéressant d’avoir cette multiplicité d’experts et, par exemple, l’appui de physiologistes qui nous disaient : « On peut avoir des muscles et entretenir ces muscles, mais au-dessus, il y a le cerveau. Et s’il n’y a pas d’ordres, il ne se passera jamais rien.” Donc un chapitre entier du rapport est consacré à la question cruciale de la motivation.
Au-delà de la dose, il faut faire comprendre que l’AP doit être une habitude de vie comme se brosser les dents le matin.
Vous relevez dans le rapport que le pire pour les malades, c’est la fonte de la masse musculaire. On parle aussi de cachexie. Pourquoi ?
La fonte musculaire débute par la sarcopénie. Sans activité physique, le processus de perte débute par la fonte des fibres rapides du muscle, puis on arrive à un moment où l’on va plus loin. La fonte musculaire est telle que le patient est plus fragile. Le muscle a presque complétement fondu et on atteint avec la cachexie un syndrome métabolique qui peut toucher les fonctions vitales.
Le problème des évaluations sur le tour de cuisse comme prédicteur de mort prématuré, c’est que la fibre musculaire peut se transformer en gras. Donc le tour de cuisse peut rester le même. Or, toutes les études montrent que, dans toutes les maladies, la masse musculaire est protectrice pour la survie des patients. C’est pour cela qu’il est vital de pratiquer une activité physique modérée et de façon régulière.
Trouve-t-on des bénéfices pour la santé spécifiques à chaque pratique d’activité physique ?
C’est le principe de l’hyper prescription dans l’AP. Dans la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), l’activité physique d’endurance est recommandée et apporte des bénéfices. Or pour les patients dépressifs, l’entraînement par du renforcement musculaire apporte de meilleurs résultats. C’est comme avoir un médicament générique que l’on va spécifier, que l’on va doser et quantifier par semaine en fonction des maladies. Dans le cancer, il faut au moins pratiquer quatre fois par semaine, notamment après la maladie. On est sur des séances d’intensité modérées où il faut s’employer. Faire uniquement les recommandations de l’OMS c’est bien, mais pas suffisant pour éprouver des bénéfices sur la santé.
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Problème, vous citez une étude qui montre qu’une intensité perçue comme trop intense réduit largement l’assiduité des patients. N’est-ce pas une difficulté pour trouver le bon dosage ?
Je ne crois pas, je dirais qu’il faut trouver les bons mots pour motiver quelqu’un à s’engager. Faire du vélo d’appartement chez soi, c’est insupportable. Par contre entre amis, faire une balade agréable et ludique, c’est mieux. Tous les réseaux sociaux et systèmes technologiques peuvent être des outils motivationnels intéressants pour faire en sorte que des patients bougent sans vraiment s’en rendre compte.
Le message clef de ce rapport, c’est de montrer qu’il est possible de guérir d’une maladie avec de l’AP ? Lesquelles ?
C’est là où nous avons pris le plus de risques. Les preuves sont là, mais parler de guérison, c’est toujours fort pour le public et les médecins. Il faut que tout le monde l’intègre. Les trois maladies que l’on peut soigner avec l’AP sont le diabète de type de 2, les artériopathies oblitérantes des membres inférieurs et la dépression légère.
Nous avons donc là un véritable traitement qui fonctionne. C’est-à-dire qu’en adaptant des programmes, il n’y a pas besoin de médicaments chimiques pour guérir. Tout est une question de diagnostic est d’orientation du malade vers cette thérapie non-médicamenteuse. C’est là encore un énorme changement de paradigme.
Comment avoir la motivation de pratiquer une AP avec une maladie chronique ?
Ce qui sort de cette expertise, c’est que la maladie est une tragédie souvent, mais aussi parfois une chance quand elle est détectée tôt. Et la maladie doit être un facteur motivationnel pour évoluer. Surtout si les médecins s’emparent de la prescription, ils vont se rendre compte qu’ils ont un formidable outil de soin. Ce peut être une grande source de motivation pour le patient.
Certaines personnes sont rétives à l’idée de pratiquer une AP, comme le philosophe Michel Onfray, qui disait ne faire du sport que pour descendre à la cave chercher du vin. C’est en faisant un AVC qu’il comprendra qu’il est fragile et qu’il va se mettre à faire une activité. Il faut donc faire comprendre à un Français sur trois atteint d’une maladie chronique que la pratique d’une AP va l’aider.
Pour cela, il faut des stratégies motivationnelles, soit des plaisirs personnels ou collectifs. Dans ce dernier cas, le rôle des pairs, ceux qui ont la même maladie, est important. Car on voit que parfois, des personnes avec des maladies très grave deviennent des références pour certains. C’est là que l’on parle de résilience. C’est pour cela qu’au-delà des chiffres de durée (survie, récidive…), nous avons voulu mettre en avant la notion de qualité de vie, qui est fondamentale pour les patients.
Comment le corps peut-il réagir de façon si bénéfique à une AP ?
Il y a plusieurs chapitres consacrés à la biologie épigénétique où l’on montre qu’il y a des résultats sur la transformation des gênes par exemple. Ce sont des choses très bien étudiées aujourd’hui. Pour faire simple, on a fait une coupe du corps. Qu’on prenne du micro jusqu’à la macro (c’est-à-dire les notions de psychologie, de perception..), nous avons apporté tous les éléments mécaniques qui montrent les impacts d’une activité sur le corps.
Contrairement au médicament qui a un agent pharmacologique très précis et ciblé, la pratique d’une AP a un effet systémique. Cela va agir sur le muscle et sur bien d’autres facteurs.
C’est pour cela que sur le cancer, imaginer qu’il n’y a qu’une seule réponse ciblée ne marchera jamais. C’est le pluralisme des effets qui a un impact. Un effet protecteur sur le moral et un effet réducteur de masse grasse dans le corps. Donc une diminution des réserves dont la maladie a besoin pour s’étendre.
Les preuves sont-elles assez convaincantes d’un point de vue scientifique ?
Oui, les niveaux de preuves sur l’effet anti-inflammatoire de l’AP, l’impact sur le métabolisme et enfin sur l’immunité sont suffisantes. On a un niveau de preuve suffisant. J’ai longtemps fait de l’éducation thérapeutique auprès de patients atteints de BPCO. J’ai souvenir qu’ils posaient beaucoup de questions sur les mécanismes.
Certains avaient des croyances. On leur expliquait des choses, ils étudiaient dans leur coin et revenaient avec d’autres questions et tentaient d’expliquer parfois à ceux qui n’y connaissaient rien non plus. L’information est importante. D’ailleurs si je peux me permettre, les professionnels du sport doivent également progresser dans l’explication et la compréhension de leur métier.
Est-ce qu’il suffit d’informer pour sensibiliser le grand public, notamment en prévention primaire ?
Ce document ne traite pas de la prévention primaire. On redit que bouger plus est fondamental, notamment car la société va de plus en plus vers un mode de vie sédentaire. C’est pourquoi le rapport insiste sur les effets thérapeutiques de l’AP, au sens curatif. Indirectement, c’est aussi un changement de mentalité importante.
Imaginez que des patients qui se soignent avec de l’AP peuvent influencer leurs enfants par exemple. Si un papy a fait un AVC et fait de l’AP et explique à son petit-fils les bienfaits, c’est un changement générationnel qui va faire évoluer les pratiques.
Vous citez dans le rapport une étude danoise qui explique qu’une prescription papier a deux fois plus de chances d’être suivie. Où en est-on de la formation des médecins ?
Nulle part. On est encore au tout début. François Carré lutte pour que des sensibilisations ait lieu dans les facs de médecine. C’est difficile à comprendre, mais aujourd’hui les médecins n’ont aucun enseignement sur l’activité physique adaptée (APA) dans leur cursus. On a un retard énorme.
Les médecins ont été formés à la contre-indication à l’activité physique. Une pratique souvent trop utilisée. Maintenant on doit leur apprendre pourquoi chacun doit pratiquer une AP adaptée. C’est un changement énorme et qui engendre des déréglements juridico-techniques.
Beaucoup de choses sont à revoir. On prend cependant une bonne direction.
Le rapport de la Haute autorité de santé publié l’an dernier pour les aider à prescrire a-t-il eu un impact ?
Cela a aidé à guider les médecins dans la bonne direction. Mais il me tarde de voir ce qu’il va se passer dans les maisons sport-santé. Combien de prescriptions seront faites, combien de retour de patients via des centres de soins ? C’est quelque chose qu’il faudra suivre de près. Si on veut également aller dans ce sens, j’aimerais bien voir aussi combien de médecins eux-mêmes vont faire de l’AP. Je crois qu’il faudrait des cours obligatoires pour les médecins. De gym par exemple. À Hanoï, au Vietnam, c’est ce qu’on fait aux médecins pour qu’eux-mêmes se rendent compte des bienfaits. On en est là.
Après le décret sur le sport sur ordonnance, on annonce des changements gouvernementaux. Vous y croyez ?
La stratégie nationale “sport-santé bien être” est écrite. Donc ça va sortir. J’ai vu des mutuelles ou des grands groupes s’intéresser à la prise en charge. On va les inciter à rembourser une pratique. AG2R par exemple a agencé des programmes remboursés dans le cancer. Et cela risque de faire boule de neige. Si on attend trop de l’État, on peut attendre longtemps. Je pense que la CPAM va aider de façon plus globale dans des dotations par exemple, dans les maisons sport-santé. Mais pas directement pour le patient. Les fléchages se feront du social, du marketing peut-être pour les complémentaires. L’important c’est surtout que le plus grand nombre de personnes puisse en bénéficier près de chez eux. C’est aux décideurs publics de prendre leurs responsabilités pour les populations.
Les décideurs ont tendance justement à répéter : « Il nous faut plus de preuves scientifiques ». Peut-on encore se cacher derrière cette phrase aujourd’hui ?
On a presque toutes les cartes en main au sujet des bienfaits sur la santé. Au niveau économique, c’est autre chose, on manque d’études en France. Mais c’est fort de café de dire que les effets de l’AP sur les Américains et sur l’économie américaine vont être totalement différents chez nous.
Aux USA, un euro investit pour les malades c’est 5 euros économisés pour la société. Pourquoi pas faire une étude sur le sujet, mais à quoi bon attendre ? A-t-on le luxe d’attendre que la société continue de s’enfoncer dans la sédentarité ?
Car la question économique est importante. Investir dans ce sujet, c’est l’assurance de rapporter à la société. Ce sont des emplois à créer et investir dans le sens noble du terme vers une cause nationale.
Un pays est-il en avance sur le sujet de l’AP ?
J’avais tendance à dire : « Allez voir les Québécois, ils sont très avancés », surtout en prévention primaire où les messages étaient très agressifs et fonctionnaient bien. À cette époque, il y a 10 ou 20 ans, la France était très en retard. Mais maintenant, à chaque fois que je vais au Québec, je me dis qu’on l’on est peut-être passé devant eux. Alors cela se fait à la Française, rien n’est organisé, rien n’est cohérent, pas coordonné par Paris ou un gouvernement…
Mais il y a des gens géniaux partout, qui font des choses très bien sans argent. Il faudrait pérenniser tout cela avec des financements. Mais les initiatives sont multiples. Dans le cancer, il y a des choses incroyables. Ce n’est pas parfait, mais on a clairement changé de monde. Donc aujourd’hui je n’ai pas de pays à citer pour parler d’un pays en avance sur lequel on devrait s’appuyer. Nous avons des objets connectés, des cliniques sport-santé, des associations engagées. J’ai la prétention de dire que la France est un très bon élève en matière de sport-santé.