Caen, jeudi 9 novembre 2017
Pour la cinquième année consécutive, la ville de Caen (Calvados) organisait ses Rencontres de la santé. À la rentrée, la municipalité a lancé le Sport-santé sur ordonnance (SSSO) et en a profité pour présenter le dispositif, ainsi que les différentes offres sportives. Le professeur François Carré, cardiologue au CHU de Rennes, a salué l’initiative, lui qui lutte contre la sédentarité depuis près de 30 ans.
Sport sur ordonnance
Il était presque 20 heures à la bibliothèque Alexis-de-Tocqueville. L’heure du repos pour certains. C’est pourquoi avant de démarrer la table ronde sur le SSSO, Valérie, une éducatrice sportive de la Ville, a fait bouger toute l’assemblée. Cinq petites minutes d’étirements avant de se rasseoir pour écouter Aristide Olivier, maire-adjoint en charge des sports, présenter le dispositif.
Début 2016, la municipalité a commencé à s’interroger sur la prise en charge, par le sport, des personnes atteintes de dépression, de troubles psychotiques, d’affections de l’appareil locomoteur, d’obésité infantile ou de diabète de type 2. Initialement, le projet était très ambitieux : prendre en charge 300 personnes chaque année. Finalement, le chiffre sera étalé sur trois années afin de juger de l’efficacité de la mesure. « Nous avons fait un choix fort, celui de la gratuité du dispositif », se félicite l’adjoint au sport. Effectivement, contrairement à Strasbourg, pionnier dans le domaine, qui demande une cotisation solidaire pour les 2e et 3e années de prise en charge, le SSSO ne coûte rien au bénéficiaire. Revers de la médaille, les cours ne durent que 15 semaines (moins de 4 mois), à raison de deux séances par semaine. De la trottinette aux arts martiaux, en passant par la natation, plusieurs activités sont proposées selon les goûts et les pathologies.
Pour Martial Fesselier, ancien marcheur de haut niveau reconverti dans le coaching pour entrepreneurs :
« Ce qui est primordial dans ce dispositif, ce sont les rendez-vous de suivi pour savoir si l’on continue de pratiquer une activité à la fin de la prise en charge. »
Médecin référent sport-santé à l’Union régionale des médecins libéraux de Normandie (URML), Bruno Burel confesse que ce genre de dispositif « [lui] donne des idées. Des initiatives sont proposées ailleurs en Normandie, par des associations, là où les mairies ne prennent pas en charge. »
Cependant il reste du travail pour la mairie de Caen. En témoigne l’intervention d’une habitante atteinte d’une sclérose en plaques et se déplaçant en fauteuil roulant : « Vous parlez de sport pour tous, mais pour ceux qui ont une mobilité réduite, que peut-on faire ? Rien. » Visiblement gêné, Aristide Olivier n’a pas manqué de rappeler que des « améliorations pourront être faites après ces trois ans de mise en route ». Gérard Hurelle, maire-adjoint à la santé, a même promis que « toutes les pathologies pourraient être prise en charge ». Une annonce très ambitieuse, quand on connait la longue liste des ALD.
Favoriser l’accès au sport
Aristide Olivier est également revenu sur la politique de la ville vis-à-vis du sport. Son objectif est de baisser les freins à l’activité physique. « Nous allons mettre en place des vestiaires mobiles et des douches, sous forme de préfabriqués, notamment au stade Hélitas et sur la Presqu’île. Le tout en libre accès. » Une politique sportive accessible à tous, qui coûtera 20 millions d’euros sur les six prochaines années.
Éduquer au sport semble être également une priorité, puisque 3 700 heures d’initiation à l’activité physique seront proposées dans les écoles de la ville avant la fin du mandat, ainsi que des « cycles de mobilité » pour les plus jeunes, sur la marche, le vélo… Sur ce sujet, François Raulin, géographe et ingénieur de recherche à l’École de management de Normandie, proposera une étude sur la « marchabilité » de la ville, dès 2018.
La sédentarité, ce fléau
Après la table ronde, le professeur François Carré, cardiologue et chef du service de médecine du sport du CHU de Rennes, est venu prendre la parole. Dans un tout autre style. Fini les fauteuils bien confortables, l’exposé assis et les jambes croisées. Le professeur occupe la scène comme pour un one-man show : toujours debout. « L’homme n’est pas fait pour être assis. D’ailleurs, je fais mes réunions à l’hôpital debout. Et croyez-moi, elles sont plus courtes » s’amuse-t-il. Depuis plus de 30 ans, il est donc debout face à la sédentarité, responsable selon lui de tous les maux. Et il le prouve à grand renfort de chiffres : « En 2008, le tabac a tué 5,1 millions de personnes dans le monde, contre 5,8 pour la sédentarité. Rester assis tue donc plus que la cigarette. » Sur ses diapositives, une pierre tombale est dessinée avec comme épitaphe « C’est dans terre ». Le message est clair…
Le spécialiste distingue bien la sédentarité de l’inactivité. « On peut être actif et faire une heure de sport par jour, mais être sédentaire car on reste assis 6 ou 7 heures par jour. Faire du sport, c’est bien, mais il faut être régulier. » Il conseille alors de se lever 3 minutes toutes les 2 heures en position assise, afin de faire quelques exercices de flexions. Ce qui aura pour effet de faire chuter la glycémie, et donc de prévenir le diabète.
Balayer les idées reçues, voilà la spécialité de cet homme capable de s’énerver à la moindre vue d’un escalator. Pas le temps de faire du sport ?
« Si vous n’avez pas 30 minutes par jour pour vous occuper de vous, vous aurez tout le temps de vous occuper de votre maladie. »
Vous trouvez que faire 3 heures de vélo le week-end, c’est suffisant pour votre corps ? Il répond : « Vous pensez que vous brosser les dents seulement le dimanche, c’est suffisant ? » Vous croyez qu’il est normal de prendre du poids avec l’âge, lui pas du tout. Courir dix kilomètres ? « Tout le monde devrait être capable de le faire. »
Il cite ainsi une étude australienne qui a mesuré qu’en 40 ans, les collégiens ont perdu 25 % de leurs capacités physiques. « Si la capacité physique est le meilleur marqueur de l’espérance de vie, alors nos enfants vivrons moins longtemps que nous, et ce serait une première dans l’histoire de l’ère moderne. » Si on le traite de catastrophiste, il rétorque « qu’avec des dizaines d’études qui sortent chaque jour sur le sujet, je ne suis pas le seul à être alarmé ».
Depuis 30 ans qu’il parcourt la France pour évoquer l’importance de l’activité physique, François Carré s’étonne encore que les gens s’imposent des régimes hyper restrictifs pour maigrir mais se disent incapables de marcher 30 minutes par jour. Il conclut son exposé grave, mais toujours joyeux, avec un message clair : « Ne pas bouger, c’est presque un risque ».
[ POUR ALLER PLUS LOIN ] Écoutez l'émission de La Tête au carré (France Inter), consacrée aux "dangers" de la sédentarité (jeudi 18 janvier 2018) avec pour invité le Pr François Carré ; Regardez l'émission Envoyé spécial (France TV) du même jour, intitulée Accros aux écrans.