Paris, lundi 21 mai 2018
Lancée au milieu de l’année 2017, la chronique “10 000 pas et plus” du journal Le Monde fait la part belle au sport-santé. Publiée chaque semaine dans le cahier “Science & Médecine”, elle est menée par Sandrine Cabut et Pascale Santi, deux journalistes de renom, convaincues par les bienfaits de l’activité physique. Elles reviennent sur l’origine de cette chronique et donnent des précisions sur leur façon de travailler dans le plus grand quotidien de France.
Quel est votre parcours professionnel, et comment êtes-vous arrivées dans ce domaine de la santé et des sciences ?
Sandrine Cabut : Je suis médecin de formation. J’ai fait mon internat à Nancy en dermatologie et pas mal de remplacements pendant ma thèse. Puis, je suis partie un an à l’étranger pour faire de la médecine générale. En rentrant, c’était un peu le flou. J’avais envie de venir à Paris et le journalisme m’intéressait bien. J’ai donc eu une première expérience en 1994 au sein du journal Impact médecin quotidien. Je suis passée ensuite dans la presse plus “grand public”, soit en tant que freelance, soit en tant que salariée : Libé puis Le Figaro, avant d’arriver au Monde en 2011 à la création du cahier “Science & Médecine”. Je traite principalement des sujets santé et médecine, sauf quelques rares exceptions pour me faire plaisir. Le journalisme, je l’ai donc appris sur le tas, puisque je n’ai jamais fait d’école.
Pascale Santi : À la différence de Sandrine, je voulais aussi être médecin au départ, mais j’ai raté l’examen. J’ai eu ensuite un parcours assez classique en passant par Sciences Po et une école de journalisme. Je me suis spécialisée en journalisme scientifique, mais j’ai commencé aux Échos, en économie donc. Je suis arrivée au Monde il y a 20 ans, et à la santé depuis 8 ou 10 ans.
Comment fonctionnez-vous au cahier “Science & Médecine” ?
SC : Il y a une équipe cahier, et une équipe santé disséminée dans le journal. Au service société, François Beguin traite des gros sujets, de l’actualité du ministère.
PS : Nous avons aussi Chloé Hecketsweiler qui traite de l’actualité des laboratoires. Nous sommes 5 au total pour ce cahier, avec Paul Benkimoun par exemple. Ce n’est pas rare au Monde d’avoir des journalistes santé qui ont un gros bagage de médecine.
Comment est née l’idée de 10 000 pas et plus, la chronique dédiée à l’activité physique (AP) ?
SC : Avec Pascale, on s’entend très bien. On travaille souvent ensemble et sommes très complémentaires. Nous avons fait un certain nombre de papiers à deux, notamment un dossier AP et santé.
Chaque semaine, on réalise une veille scientifique, et on s’est rendu compte qu’il ne se passait pas une semaine sans que l’on trouve des publications intéressantes sur ce sujet.
De plus, c’est une information plutôt positive, cela change de dossiers souvent lourds. D’autre part, notre collègue Pierre Barthélémy, qui tenait une chronique “Passeur de sciences” depuis 6 ans, avait envie de passer la main. J’ai eu cette idée que j’ai proposé à Pascale. Nous avons donc fait une proposition à notre chef direct. On a préparé une liste de sujets possibles et on a rencontré la direction du journal qui a bien accueilli l’idée et nous a demandé de faire quelques essais.
PS : La direction craignait que nous tournions vite en rond. J’avais quelques craintes aussi, mais je dois avouer que je ne m’attendais pas a avoir tant de matière. Il y a pleins de thèmes différents dans ce domaine.
SC : La direction voulait que l’on fasse nos preuves, oui. Écrire une chronique, ce n’est pas tout à fait pareil qu’un papier. Surtout que c’était notre première expérience à toutes les deux dans ce style-là.
Est-ce plus libérateur pour vous dans l’écriture?
PS : Oui, mais j’ai parfois un peu de mal. C’est vraiment très différent de l’écriture classique d’un article, où l’on a beaucoup d’informations. Là, il faut arriver à aller à l’essentiel, en 3 500 signes, tout en gardant un style un peu plus léger.
SC : Je me suis souvent dit en creusant un sujet de chronique : “C’est assez riche, il y a des intervenants intéressants, et c’est presque dommage de ne pas le développer dans un dossier ou un portrait.” Dans l’écriture, je me rends compte aussi que je n’ai pas le talent d’un Benoît Hopquin par exemple, qui a une patte bien à lui. Ce qu’il faut dire aussi, c’est que les semaines où nous avons de gros dossiers, la chronique est souvent faite un peu au dernier moment et elle est peut-être moins soignée que les papiers principaux.
Comment choisissez-vous les sujets ? En fonction des études publiées ?
PS : Ça dépend. On surveille effectivement les publications. Mais une fois, j’ai participé à une danse pour les personnes ayant Parkinson, donc la chronique s’est faite là-dessus. C’est assez variable. Sur Twitter, on trouve des sujets intéressants également.
SC : On a toujours notre matelas de sujets. Parfois, on a des sujets d’actu mais on ne se met pas de pression en se disant : “On doit absolument en parler cette semaine.” Notre petit regret, c’est de ne pas être assez sur le terrain.
La chronique va-t-elle perdurer l’année prochaine ?
PS : On a fait le point récemment avec notre chef. Nous serions frustrées d’arrêter là. On continue au moins jusqu’à fin décembre, puis on verra si on aura “fait le tour” ou non. Cette chronique est aussi une sorte de respiration dans notre travail. On rencontre beaucoup de passionnés, des sujets positifs… C’est une matière où tant de choses sont simples à faire.
PS : Les bienfaits du sport, c’est un sujet pas encore si connu que ça, et pas toujours pris au sérieux.
SC : C’est vrai que des médecins prennent ça parfois à la légère. On le voit en discutant avec des professionnels. Je suis sûre que s’ils trouvaient un médicament si efficace en cardio, en chimio, ou ailleurs, ils le prescriraient tout de suite.
A-t-on d’autres exemples de médicament ou de thérapie si efficace et si peu prise en considération ?
SC : C’est-à-dire que la particularité, c’est que l’AP est universelle, et elle agit en préventif et en curatif. Il n’y a rien de comparable dans la pharmacopée.
PS : À l’inverse, nous avons l’homéopathie, qui est remboursée et n’a pas de bienfaits au-delà de l’effet placebo. L’AP peut pourtant être prescrite sur ordonnance, mais n’est pas remboursée.
SC : En France, nous sommes très mauvais sur la prévention. Je crois qu’il a deux aspects :
Les messages de prévention des risques ont l’air simple, mais ils ne fonctionnent pas de manière générale. Donc l’AP ne risque pas d’être remboursée en prévention primaire. Pour le curatif, des gens sont aux avant-postes, comme Martine Duclos, les gens de Strasbourg, mais il reste beaucoup de personnes à convaincre.
Avez-vous l’impression de faire avancer le débat avec cette chronique ?
PS : Nous avons de bons retours, de personnes qui nous écrivent, qui nous disent ce qu’ils pensent des sujets. Je me souviens avoir interrogé Jean-Marc Descotes et Thierry Bouillet, les fondateurs de la Cami : ils me disaient qu’au départ, ils étaient complètement seuls, peu de gens voulaient les soutenir. Depuis, ils ont grandi, mais encore récemment, ils ne savaient pas s’ils allaient avoir assez de fonds pour boucler le budget cette année. C’est encore fragile. Donc le débat avance, mais lentement. À l’école, il y aurait aussi beaucoup de travail, car on ne dit presque jamais “le sport, c’est bon pour la santé”.
SC : L’équipe santé du journal avait rencontré Agnès Buzyn au ministère, et notre sentiment, c’est qu’elle n’était pas vraiment concernée par la question. Rembourser l’AP en prévention primaire, elle a dit que c’était hors de question, mais en prévention secondaire ou tertiaire, elle est très réservée. J’ai l’impression qu’elle a peur que cela devienne un business pour certains, et que ce soit très coûteux pour la Sécurité sociale.
C’est un faux procès que de dire : “On n’a pas démontré encore ceci ou cela, à telle intensité, sur telle stade de la maladie.” On pourra toujours trouver une parade pour faire reculer de 5 ou 6 ans le temps que des études se fassent.
Je trouve ça bien que le sujet aille au delà du ministère de la Santé, car il touche beaucoup de monde : les sports bien sûr, mais aussi l’urbanisme, et d’autres domaines. Il faut que tout le monde s’empare du sujet.
Comment jugez-vous le sujet traité dans le reste des médias ?
SC : Je trouve que beaucoup de papiers sortent, dans les mensuels, dans la presse locale. Avec les émissions de Michel Cymes, il y a un bruit de fond, de plus en plus. Mathieu Vidard, sur France Inter, a fait plusieurs sujets sport et santé dans La Tête au carré. Difficile de dire si on sert à quelque chose, mais je crois que les dirigeants sont contents des statistiques de la chroniques. Ceci étant, les chiffres, on ne s’en préoccupe pas trop.
Voyez-vous beaucoup de sites, comme “Santé + magazine”, se développer en prônant de faux conseils de santé ?
PS : C’est plus le travail des Décodeurs de faire ça au Monde. Je pense notamment au sujet sur les vaccins, où ils avaient décortiqué 10 fausses informations. Mais on voit des affirmations très rapides comme “mangez du curcuma pour guérir de votre cancer”… Beaucoup de raccourcis aussi. C’est un travail à plein temps de décortiquer ces fausses infos.
SC : Pour une chronique sur l’addiction au sport, je tombe sur une affirmation un peu spéciale de l’OMS, dans des livres et sur internet. J’écris à l’OMS et ils me répondent en 15 minutes en me disant “merci de relever, car c’est une fausse affirmation qui traîne”. Donc oui, le travail de vérification est permanent.
Comment construisez-vous vos articles ? Faut-il être très précis au point de “perdre” certains lecteurs ?
SC : Cela dépend un peu de où on écrit dans le journal. Dans le cahier “Science & médecine”, c’est vrai que l’on a des lecteurs plus aguerris sur ces sujets. Dans le quotidien en lui-même, on essaie peut-être d’écrire de façon plus “grand public”. Nous sommes relus par trois personnes, donc si on ne comprend pas, on va nous le dire assez vite.
PS : Avant même la relecture, on fonctionne de façon collective, en se relisant les uns et les autres, pour voir si on se comprend.
Comment jugez-vous l’implication des médecins ou des spécialistes que vous rencontrez, sur l’AP ?
SC : On rencontre beaucoup de médecins déjà convaincus pour la chronique. Sur le reste de nos sujets, on pose la question, et l’on se rend compte que l’implication est assez variable. On a aussi des discours de patients qui nous disent : “Oui, vous faites bien de me le dire, mais mon généraliste, ce n’est pas son problème.” J’avais passé toute une journée, par exemple, avec Suzette Delaloge, une oncologue du centre régional de lutte contre le cancer Gustave-Roussy : elle pose souvent la question de l’AP quand elle est en consultation. C’est donc variable.
PS : Cela dépend beaucoup de la personne, si elle est sportive ou non. Dans certaines entreprises, ils sont à fond pour encourager la pratique du sport. Les initiatives viennent souvent de personnes sportives à la base.