Caen, jeudi 3 mai 2018
C’était une discussion de travail comme une autre. Une visioconférence pour préparer l’organisation de la première Cancer Pride, une marche solidaire autour du cancer, qui devrait avoir lieu en septembre 2018, à l’initiative de MakeSens, un collectif qui promeut les initiatives sociales.
Tour de table. Présentations. Vient ensuite le moment de dégager les informations clefs qu’il faudrait faire ressortir lors de la marche, pour toucher au mieux le grand public. Nous parlons de ce que nous connaissons : l’importance de l’activité physique pour les malades. « Il faut informer sur les bienfaits. Que ce soit sur la fatigue, sur la récidive, sur l’estime de soi. Casser l’idée reçue que le malade doit rester au lit sans rien faire. » Casser l’idée reçue… Voilà ce que l’on s’efforce de faire depuis des mois, à grands renforts de publications scientifiques, d’interviews de spécialistes ou de témoignages d’anciens malades. Mais une idée reçue, ça ne disparaît pas si vite, même quand les arguments paraissent des vérités. « Il faut 20 ans pour changer une habitude bien ancrée dans la société », nous faisait remarquer Dr Stéphanie Ranque-Garnier, spécialiste du traitement de la douleur à Marseille, à propos du sport sur ordonnance.
Puis nous déchantons. Une femme prend la parole de l’autre côté de l’écran :
« Je crois qu’il ne faut pas parler d’activité physique. C’est déjà un cran trop haut quand on est malade. Ce qu’il faut, c’est remettre le corps en mouvement. Réapprendre à bouger, à activer son corps. »
Notre première réaction nous est venue toute seule : « Non. » La modératrice du groupe de travail a souhaité recentrer le débat, à raison, sur l’élaboration de grands thèmes. Nous sommes donc restés coi. Quand nous parlons de sport, on nous conseille de parler d’activité physique. Maintenant que nous parlons d’activité physique, il faudrait parler de “se remettre en mouvement”? Ne serait-il pas temps d’arrêter de jouer avec les mots ?
Comme il est difficile de s’activer chaque jour pour défendre une idée qui semble juste et vérifiée à maintes reprises par la science. Une idée si intuitive qu’elle fait son chemin dans les textes de loi et s’annonce comme une thérapie nouvelle et efficace pour les 11 millions de patients en ALD, notamment les personnes atteintes de cancers. Comme il est frustrant d’entendre, encore et toujours, des voix s’élever contre ce changement de paradigme. Non, le cancéreux n’est pas en sucre. Parler d’activité physique adaptée, et non pas de sport, c’est une façon de faire comprendre que « bouger » est accessible à tous, malades ou non. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) définit l’activité physique (AP) comme « tout mouvement produit par les muscles squelettiques, responsable d’une augmentation de la dépense énergétique ». Jardiner, marcher, bricoler, faire la cuisiner, faire le ménage, enfiler ses vêtements (et pas seulement de sport), voilà ce qu’est une activité physique.
“Le malade, il faut savoir le secouer”
Nous connaissons malheureusement bien le cancer et les ravages qu’il peut causer. Pourtant cancer n’est plus synonyme de mort. Mais activité physique est parfois synonyme de survie. Le Dr Ranque-Garnier, encore elle, affirmait avoir mené des travaux d’activité physique avec des patients en soins palliatif. Par des mouvements de bras répétés, leur perception de la douleur et de la fatigue était moindre, selon elle. Preuve que l’AP peut s’implanter partout, et pour tous, peu importe son degré de maladie.
Entretenir l’idée reçue que cancer = repos, c’est également participer à la stigmatisation des patients. Bon nombre se plaignent (et nous l’avons entendu une nouvelle fois pendant cette visioconférence) de ne pas être traités comme des citoyens lambda, mais avant tout comme des malades. C’est vrai, des discriminations existent : dans le monde du travail, pour des crédits bancaires, et il faut les dénoncer. Mais vouloir faire en sorte que le malade devienne le plus inactif et le plus sédentaire possible, c’est aussi le rabaisser, lui faire comprendre qu’il n’est plus en mesure de mener à bien les tâches du quotidien. Qu’il n’est plus en état, par exemple, de travailler, et de participer à la production de son entreprise. C’est être en marge de la société.
Dans un monde idéal, l’arrêt de travail ne serait pas systématique (il n’est d’ailleurs pas obligatoire de l’accepter), mais l’activité serait adaptée aux capacités du travailleur malade. C’est ce qu’a démontré le collectif Cancer@work, avec une étude mesurant les économies réalisées par l’entreprise et la société, ainsi que le bien-être pour le malade, en conservant et adaptant son emploi. Selon l’Inca, 77 % des patients malades seraient en mesure de travailler, grâce notamment aux diagnostiques de plus en plus précoces et à l’efficacité des traitements. Être soigné et en arrêt maladie, c’est être isolé du monde professionnel pendant de longs mois. Il est facile d’imaginer l’appréhension du malade à l’idée de reprendre son poste avec les mêmes exigences de performance. Cet isolement peut amener le patient lui-même à douter de ses capacités, à se sentir moins fort. Et nous ne parlons pas des cas de dépression.
Avec l’AP, nous parlons donc d’un cercle vertueux qui consiste, en premier lieu, à ne jamais s’arrêter de bouger dès lors que l’on découvre la maladie. Maintenir cette activité pendant les traitements permet souvent, selon les spécialistes, de maintenir un tonus et une confiance en soi. D’éviter aussi de tomber en dépression. Pratiquer des activités collectives permet aux malades de conserver un lien social fondamental pour rebondir. Une philosophie que nous confiait Romain Barnier, entraîneur du Cercle des nageurs de Marseille, participant à un programme d’onco-coaching: « Le malade, il faut parfois le secouer. » Écouter son corps, connaître ses limites, c’est important. Mais tenter d’être actif et sportif (osons le mot), c’est se prouver à soi-même que notre corps est encore en marche. C’est montrer aux autres que l’on est plus fort que les idées reçues. Faire entendre à toute la société (médecins, employeurs, collègues, proches…) que nous avons un rôle à jouer, même pendant des traitements d’une pathologie grave. Vivre avec le cancer, c’est surtout combattre.
commentaire
Tout à fait, j’étais à cette fameuse réunion (côté salle et non côté écran) et j’avoue avoir été étonnée de cette remarque. On peut parler de sport, ou de sport adapté si besoin, mais cela reste du sport. Et en tant que patient, pouvoir dire que l’on fait du sport (et pas de remise en mouvement) est valorisant et motivant pour la suite du parcours !